cet état ; je ne sais ce qu’elle pensait ; pour moi, je ne pensais à rien, je ne le pouvais, j’étais d’une faiblesse qui m’occupait tout entière. Nous gardions le silence, lorsque la supérieure le rompit la première ; elle me dit : « Suzanne, il m’a paru par ce que vous m’avez dit de votre première supérieure qu’elle vous était fort chère.
— Beaucoup.
— Elle ne vous aimait pas mieux que moi, mais elle était mieux aimée de vous… Vous ne me répondez pas ?
— J’étais malheureuse, elle adoucissait mes peines.
— Mais d’où vient votre répugnance pour la vie religieuse ? Suzanne, vous ne m’avez pas tout dit.
— Pardonnez-moi, madame.
— Quoi ! il n’est pas possible, aimable comme vous l’êtes, car, mon enfant, vous l’êtes beaucoup, vous ne savez pas combien, que personne ne vous l’ait dit.
— On me l’a dit.
— Et celui qui vous le disait ne vous déplaisait pas ?
— Non.
— Et vous vous êtes pris de goût pour lui ?
— Point du tout.
— Quoi ! votre cœur n’a jamais rien senti ?
— Rien.
— Quoi ! ce n’est pas une passion, ou secrète ou désapprouvée de vos parents, qui vous a donné de l’aversion pour le couvent ? Confiez-moi cela ; je suis indulgente.
— Je n’ai, chère mère, rien à vous confier là-dessus.
— Mais, encore une fois, d’où vient votre répugnance pour la vie religieuse ?
— De la vie même. J’en hais les devoirs, les occupations, la retraite, la contrainte ; il me semble que je suis appelée à autre chose.
— Mais à quoi cela vous semble-t-il ?
— À l’ennui qui m’accable ; je m’ennuie.
— Ici même ?
— Oui, chère mère ; ici même, malgré toute la bonté que vous avez pour moi.
— Mais, est-ce que vous éprouvez en vous-même des mouvements, des désirs ?