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la marquise.

J’ignorais cela. Je suis fâchée d’avoir à changer d’opinion sur Riquemont. Y a-t-il longtemps que vous ne vous voyez plus ?

saint-alban.

Huit à dix mois, et je vous jure qu’il n’y en a pas deux que j’ai pris mon parti sur lui ; encore a-t-il fallu, pour y parvenir, tous les soins et toute la tendresse de Serigni.

la marquise, souriant malignement sans le regarder.

Ce Serigni devait bien vous les continuer dans un moment où vous en avez tant de besoin, et ne pas s’en aller courir le monde.

saint-alban, étonné.

Courir le monde ? lui ! il n’y a jamais pensé. Il est ici, je l’ai encore vu hier, je le verrai ce soir ; je le vois tous les jours.

la marquise, le regarde en souriant.

Ah ! ah ! j’ai cru qu’il était loin de vous.

saint-alban.

Je comprends, madame.

la marquise.

Vous comprenez ? Eh bien, voulez-vous encore vous noyer ?

saint-alban.

Ah ! madame, pour un seul dédommagement, combien de peines !

la marquise.

Comment, un seul dédommagement ? Y a-t-il une peine au monde qu’on ne puisse oublier auprès d’un ami comme Serigni ?… Mais voyons donc la somme de vos prétendus malheurs. Vous n’avez rien à désirer du côté de la fortune. Vous avez une maison de campagne qui vous plaît, et dont la jouissance flatte sans cesse votre goût ; de votre aveu, votre santé est parfaite ; votre mère est une femme adorable, qui vous aime passionnément, qui travaille sans cesse à votre bonheur et qui y réussit. Ne m’avez-vous pas dit tout cela ?

saint-alban.

Je n’en disconviens pas.