Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/447

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’elle des dispositions à la bienfaisance ; et l’on peut dire qu’elle avait fait accorder un grand nombre de grâces, sans en avoir peut-être sollicité aucune. Pour Polychresta, c’était à ses yeux une femme très respectable, qui l’ennuyait souvent, et qu’il voyait, plus volontiers dans son conseil que dans ses petits appartements. Avait-il quelque affaire importante à terminer, il allait puiser chez elle les lumières, la sagesse, la force, qui lui manquaient. Elle prévoyait tout. Elle envisageait tous les sens d’une action ; et l’on convient qu’elle faisait autant au moins pour la gloire du prince, que Lively pour ses plaisirs. Elle ne cessa jamais d’aimer son époux, et de lui marquer sa tendresse par des attentions délicates.

Lively fut un peu soupçonnée d’infidélité ; elle exigeait de Génistan des complaisances excessives ; elle se livrait au plaisir avec emportement ; elle avait les passions violentes ; elle imaginait et prétendait que tout se prêtât à ses imaginations ; il fallait presque toujours la deviner. Elle disait un jour que les dieux auraient pu se dispenser de donner aux hommes les organes de la parole, s’ils avaient eu un peu de pénétration et beaucoup d’amour ; qu’on se serait compris à merveille sans mot dire, au lieu qu’on parle quelquefois des heures entières sans s’entendre ; qu’il n’y eût eu que le langage des actions, qui est rarement équivoque ; qu’on eût jugé du caractère par les procédés, et des procédés par le caractère ; de manière que personne n’eût raisonné mal à propos. Quand ses idées étaient justes, elles étaient admirables, parce qu’elles réunissaient au mérite de la justesse celui de la singularité. Sa pétulance ne l’empêchait pas d’apercevoir : elle n’était pas incapable de réflexion. Elle avait de la promptitude et du sens. L’opposition la plus légère la révoltait. Elle se conduisait précisément comme si tout eût été fait pour elle. Elle chicanait quelquefois le prince sur les moments qu’il accordait aux affaires, et ne pouvait lui passer ceux qu’il donnait à Polychresta. Elle lui demandait à quoi il s’occupait avec son insipide ; combien il avait bâillé de fois à ses côtés ; si elle lui répétait les mathématiques.

« Cette femme est de très bon conseil, lui répondait le prince ! et il serait à souhaiter, pour le bien de mes sujets, que je la visse plus souvent.

— Vous verrez, ajoutait Lively, que c’est par vénération pour