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vous ayez une furieuse prévention pour votre amie, si vous avez imaginé qu’elle plairait sur un portrait de votre main. Vous qui n’ignorez aucun proverbe, vous auriez pu vous rappeler celui qui dit de ne point courir sur les brisées d’autrui. De tout temps les mariages ont été du ressort de Rousch. Laissez-le faire ; il s’y prendra mieux que vous ; et il serait du dernier ridicule qu’un aussi saugrenu que celui que vous proposez se consommât sans sa médiation. Mais vous n’y réussirez ni vous ni lui. Je verrai votre Polychresta, puisqu’on le veut ; mais parbleu, je ne la regarde ni ne lui parle ; et la manière dont votre légère amie s’y prendra pour vaincre ma taciturnité et m’intéresser sera curieuse. Vous pouvez, madame, vous féliciter d’avance d’une entrevue où nous ferons tous les trois des rôles fort amusants. »


Le premier émir allait continuer lorsque Mangogul fit signe aux femmes, aux émirs et à la chatouilleuse de sortir.


« Pourquoi donc vous en aller de si bonne heure ? dit la sultane.

— C’est, répondit le sultan, que j’en ai assez de leur métaphysique, et que je serais bien aise de traiter avec vous de choses un peu plus substantielles…

— Ah ! ah ! vous êtes là !

— Oui, madame.

— Y a-t-il longtemps ?

— Ah ! très longtemps…

— Premier émir, vous m’avez tendu deux ou trois pièges dont je ne renverrai pas la vengeance au dernier jugement de Brama.

— L’émir est sorti, et nous sommes seuls. Parlez, madame ; permettez-vous que je reste ?

— Est-ce que vous avez besoin de ma permission pour cela ?

— Non, mais je serais flatté que vous me l’accordassiez.

— Restez donc. »