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me retirai, bien résolu de le faire renaitre. J’envoyai le lendemain chez Trocilla, et j’appris de sa part qu’elle avait bien reposé, et qu’elle m’attendait pour prendre le thé. Je partis sur-le-champ, et j’eus le bonheur de la trouver encore au lit.

« Venez, prince, dit-elle ; asseyez-vous près de moi. J’ai conçu pour vous des sentiments dont il faut absolument que je vous instruise. Il y va de mon bonheur, et peut-être de ma vie. Tâchez donc de ne pas abuser de ma sincérité. Je vous aime ; mais de l’amour le plus tendre et le plus violent. Avec le mérite que vous avez, il ne doit pas être nouveau pour vous d’être prévenu. Ah ! si je rencontre dans votre cœur la même tendresse que vous avez fait naître dans le mien, que je vais être heureuse ! Parlez, prince, ne me suis-je point trompée, lorsque je me suis flattée de quelque retour ? M’aimez-vous ?

« Ah, madame, si je vous aime ! Ne vous l’ai-je pas assuré cent fois ?

« — Serait-il bien possible !

« — Rien n’est plus vrai.

« — Je le crois, puisque vous me le dites ; mais je veux mourir, si je m’en souviens. Vraiment, je suis enchantée de ce que vous m’apprenez là. Je vous conviens donc beaucoup, beaucoup ?

« — Autant qu’à qui que ce soit au monde.

« — Eh bien ! mon cher, reprit-elle en me serrant la main entre là sienne et son genou, personne ne me convient comme toi. Tu es charmant, divin, amusant au possible, et nous allons nous aimer comme des fous. On disait que Vindemill, Illoo, Girgil, avaient de l’esprit. J’ai un peu connu ces personnages-là, et je te puis assurer que ce n’était rien, moins que rien.

« Trocilla ne laissait pas que d’avoir rencontré bien des gens d’esprit, quoiqu’elle n’en accordât qu’à elle et à son amant.

« À présent, madame, je puis donc me flatter, lui dis-je, que vous ne vous souviendrez plus de Zulric ni d’aucun autre ?

« — Que parlez-vous de Zulric ? reprit-elle. C’est un petit sot qui s’est imaginé qu’il n’y avait qu’à faire le langoureux auprès