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vielle, dont elle se mit à jouer précisément comme quand on est seul, et qu’on s’ennuie.


Ici le sultan ne put s’empêcher de rire ; la sultane dit : « En effet, cette scène est assez ridicule. » Et l’émir reprit son récit.

le premier émir.

« Je lui laissai tâtonner une musette, un menuet ; et elle allait commencer un maudit air à la mode, qui n’aurait point eu de fin, lorsque je pris la liberté de lui arrêter les mains.

« Ah ! vous voilà, me dit-elle, et que faites-vous ici à l’heure qu’il est ?

« — C’est par vos ordres, madame, lui répondis-je, que je m’y suis rendu ; et il y a près de deux heures que j’attends que vous vous aperceviez que j’y suis…

« — Est-il bien vrai ?…

« — Pour peu que vous en doutassiez, votre maitre d’anglais vous l’assurerait…

« — Vous l’avez donc entendu donner leçon ? C’est un habile homme ; qu’en pensez-vous ? Et ma vielle, je commence à m’en tirer assez bien. Mais, asseyez-vous, je me sens en main, et je vais vous jouer des contredanses du dernier bal, qui vous réjouiront…

« — Madame, lui répondis-je, faites-moi la grâce de m’entendre. À présent, ce ne sont point des airs de vielle que je viens chercher ici ; quittez pour un moment votre instrument, et daignez m’écouter…

« — Mais vous êtes extraordinaire, me dit Trocilla ; vous ne savez pas ce que vous refusez. J’allais vous jouer, ce soir, comme un ange…

« — Madame, lui répliquai-je, si je vous gêne, je vais me retirer…

« — Non, restez, monsieur. Et qui vous dit que vous me gênez ?…

« — Quittez donc ce maudit instrument, ou je le brise…

« — Brisez, mon cher ; brisez : aussi bien j’en suis dégoûtée.

Je détachai la ceinture de la vielle, non sans serrer douce-