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maudissait, et qui ne demeuraient pas en reste avec elle. Ils arrivèrent enfin. On tira ses femmes d’une berline en souricière ; c’étaient trois espèces de boiteuses : l’une boitait à droite, l’autre à gauche, la troisième des deux côtés. Trocilla, qui les examinait d’une croisée, trouvait leur allure si ridicule, qu’elle en riait à gorge déployée, comme si l’étrange spectacle de ces trois boiteuses, qui se hâtaient de venir, eût été nouveau pour elle. Tandis qu’un cocher en scaramouche et un valet en arlequin dételaient de la voiture deux chevaux, l’un blanc et l’autre noir, Trocilla était à sa toilette, qui commença sur les cinq heures du soir, et qui finit à peine à huit, qu’elle se présenta chez la fée Vérité.

« Je n’ai rien vu de si extravagant que sa parure, et sa personne attira mon attention et celle de tout le monde.

la sultane.

C’est le privilège de la singularité plus encore que de la beauté. Les hommes se livrent plus promptement à ce qui les surprend qu’à ce qu’ils admireraient.


La sultane prononça cette réflexion sensée d’un ton faible et entrecoupé qui annonçait l’approche du sommeil.

la seconde femme.

« Trocilla était plutôt grande que petite, mal proportionnée : c’étaient de longues jambes au bout de longues cuisses, qui lui donnaient l’air d’une sauterelle, surtout quand elle était assise : point de taille ; un bras potelé, et l’autre sec ; une main laide et difforme, et l’autre jolie ; un pied petit et délicat dans une grande mule rembourrée, un autre pied grand et mal fait, enchâssé dans une petite mule ; mais cela n’y faisait rien : par ce moyen, elle avait deux mules égales. Son épaule droite était un peu plus haute que la gauche ; à la vérité, un corps et l’éducation avaient affaibli ce défaut : elle avait des couleurs et point de teint ; un œil bleu et un œil gris ; le nez long et pointu ; la bouche charmante quand elle riait ; mais par malheur pour ceux qui l’approchaient, elle avait des journées tristes sans savoir pourquoi, car elle ne voulait pas que ce fût des vapeurs ou des nerfs.

« Elle avait une robe de satin couleur de rosé, avec des parures violettes ; une simarre de velours bleu, garnie de crêpe ;