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la sultane.

Innocentes ! Émir, cela vous plaît à dire. C’est à l’aide de cet art funeste, que d’une bagatelle on en fait une aventure malhonnête, indécente, déshonorante… Taisez-vous, taisez-vous ; au lieu de m’endormir, comme c’est votre devoir, me voilà éveillée pour jusqu’à demain ; et vous, madame première, continuez.

la première femme.

La fée rit beaucoup des petits esprits qu’il avait laissés là. « Et cette belle princesse qui vous a pensé faire mettre à la basilique ? lui dit-elle ironiquement.

— Ah ! l’ingrate, s’écria-t-il ; la cruelle ! qu’on ne m’en parle jamais.

— Je vous entends, reprit Vérité ; vous l’aimez à la folie. »

Cette réflexion fut si lumineuse pour le prince, qu’il convint sur-le-champ qu’il aimait.

« Mais que prétendez-vous faire de ce goût ? lui demanda Vérité.

— Je ne sais, lui répondit Génistan ; un mariage peut-être.

— Un mariage ! reprit la fée, tant pis ! Je vous avais, je crois, trouvé un parti plus sortable.

— Et ce parti, demanda le prince, quel est-il ?

— C’est, dit la fée, une personne qui a peu de naissance, qui est d’un certain âge, et dont la figure sévère ne plaît pas au premier coup d’œil ; mais qui à le cœur bon, l’esprit ferme et la conversation très-solide. Elle appartenait à un jeune philosophe qui a fait fortune à force de ramper sous les grands, et qui l’a abandonnée : depuis ce temps, je cherche quelqu’un qui veuille d’elle, et je vous l’avais destinée.

— Pourrait-on savoir de vous, répondit le prince, le nom de cette délaissée ?

— Polychresta dit la fée, ou toute bonne, ou bonne à tout ; cela n’est pas brillant ; vous trouverez là peu de titres, peu d’argent ; mais des millions en fonds de terre, et cela raccommodera vos affaires, que les dissipations de votre père et les vôtres ont fort dérangées.

— Très-assurément, madame, répondit le prince ; vous n’y pensez pas : cette figure, cet âge, cette allure-là, ne me vont point, et il ne sera pas dit que le fils du très puissant empereur