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« — Il n’en est rien, s’écria-t-elle avec transport ; si vous m’aviez aimée, vous auriez démêlé mes véritables sentiments ; vous auriez pressenti, vous vous seriez flatté qu’à la fin votre persévérance l’emporterait sur ma fierté : mais vous vous êtes lassé ; vous m’avez délaissée, et peut-être au moment… »

« À ce mot, Cydalise s’interrompit, un soupir lui échappa, et ses yeux s’humectèrent.

« Parlez, madame, lui dis-je, achevez. Si, malgré les rigueurs dont vous m’avez accablé, ma tendresse durait encore, vous pourriez… »

« — Je ne peux rien ; et vous ne m’aimez plus, et Martéza vous attend. »

« — Si Martéza m’était indifférente ; si Cydalise m’était plus chère que jamais, que feriez-vous ?

« — Une folie de m’expliquer sur des suppositions.

« — Cydalise, de grâce, répondez-moi comme si je ne supposais rien. Si Cydalise était toujours la femme du monde la plus aimable à mes yeux, et si je n’avais jamais eu le moindre dessein sur Martéza, encore une fois, que feriez-vous ?

« — Ce que j’ai toujours fait, ingrat, me répondit enfin Cydalise. Je vous aimerais…

« — Et Sélim vous adore, » lui dis-je en me jetant à ses genoux, et baisant ses mains que j’arrosais de larmes de joie.

« Cydalise fut interdite ; ce changement inespéré la troubla ; je profitai de son désordre, et notre réconciliation fut scellée par des marques de tendresse auxquelles elle n’était pas en état de se refuser.

— Et qu’en disait le bon Ostaluk ? interrompit Mangogul. Sans doute qu’il permit à sa chère moitié de traiter généreusement un homme à qui il devait une lieutenance des spahis.

— Prince, reprit Sélim, Ostaluk se piqua de gratitude tant qu’on ne m’écouta point ; mais sitôt que je fus heureux, il devint incommode, farouche, insoutenable pour moi, et brutal pour sa femme. Non content de nous troubler en personne, il nous fit observer ; nous fûmes trahis ; et Ostaluk, sûr de son prétendu déshonneur, eut l’audace de m’appeler en duel. Nous nous battîmes dans le grand parc du sérail ; je le blessai de deux coups,