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la vanité ; qu’il n’y en a peut-être aucune qui ne soit dominée par une de ces passions, et que celles qui les réunissent toutes trois sont des monstres.

— Passe encore pour le plaisir, dit Mangogul, qui entrait à l’instant ; quoiqu’on ne puisse guère compter sur ces femmes, il faut les excuser : quand le tempérament est monté à un certain degré, c’est un cheval fougueux qui emporte son cavalier à travers champs ; et presque toutes les femmes sont à califourchon sur cet animal-là.

— C’est peut-être par cette raison, dit Sélim, que la duchesse Ménéga appelle le chevalier Kaidar son grand écuyer.

— Mais serait-il possible, dit la sultane à Sélim, que vous n’ayez pas eu la moindre aventure de cœur ? Ne serez-vous sincère que pour déshonorer un sexe qui faisait vos plaisirs, si vous en faisiez les délices ? Quoi ! dans un si grand nombre de femmes, pas une qui voulût être aimée, qui méritât de l’être ! Cela ne se comprend pas.

— Ah ! madame, répondit Sélim, je sens, à la facilité avec laquelle je vous obéis, que les années n’ont point affaibli sur mon cœur l’empire d’une femme aimable : oui, madame, j’ai aimé comme un autre. Vous voulez tout savoir, je vais tout dire ; et vous jugerez si je me suis acquitté du rôle d’amant dans les formes.

— Y a-t-il des voyages dans cette partie de votre histoire ? demanda le sultan.

— Non, prince, répondit Sélim.

— Tant mieux, reprit Mangogul ; car je ne me sens aucune envie de dormir.

— Pour moi, reprit la favorite, Sélim me permettra bien de reposer un moment.

— Qu’il aille se coucher aussi, dit le sultan ; et pendant que vous dormirez je questionnerai Cypria.

— Mais, prince, lui répondit Mirzoza, Votre Hautesse n’y pense pas ; ce bijou vous enfilera dans des voyages qui n’en finiront point. »

L’auteur africain nous apprend ici que le sultan, frappé de l’observation de Mirzoza, se précautionna d’un anti-somnifère des plus violents : il ajoute que le médecin de Mangogul, qui était bien son ami, lui en avait communiqué la recette et qu’il