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« — Je te dis, reprit-elle, qu’il n’y a rien à faire, si tu n’as pas tes quatre louis…

« — Quoi ! mademoiselle, lui répondis-je tout étonné, vous ne valez que cela ? c’était bien la peine d’arriver du Congo pour si peu de chose. »

« Et sur-le-champ, je me rajuste, je me précipite dans l’escalier, et je pars.

« Je commençai, madame, comme vous voyez, à prendre des actrices pour des princesses.

— J’en suis du dernier étonnement, reprit Mirzoza ; car enfin la différence est si grande !

— Je ne doute point, reprit Sélim, qu’il ne leur ait échappé cent impertinences ; mais que voulez-vous ? un étranger, un jeune homme n’y regarde pas de si près. On m’avait fait dans le Congo tant de mauvais contes sur la liberté des Européennes… »

Sélim en était là, lorsque Mangogul se réveilla.

« Je crois, Dieu me damne, dit-il en bâillant et se frottant les yeux, qu’il est encore à Paris. Pourrait-on vous demander, beau conteur, quand vous espérez être de retour à Banza, et si j’ai longtemps encore à dormir ? Car il est bon, l’ami, que vous sachiez qu’il n’est pas possible d’entamer en ma présence un voyage, que les bâillements ne me prennent, C’est une mauvaise habitude que j’ai contractée en lisant Tavernier et les autres.

— Prince, lui répondit Sélim, il y a plus d’une heure que je suis de retour à Banza.

— Je vous en félicite, reprit le sultan ; puis s’adressant à la sultane : Madame, lui dit-il, voilà l’heure du bal ; nous partirons, si la fatigue du voyage vous le permet.

— Prince, lui répondit Mirzoza, me voilà prête. »

Mangogul et Sélim avaient déjà leurs dominos ; la favorite prit le sien ; le sultan lui donna la main, et ils se rendirent dans la salle de bal, où ils se séparèrent, pour se disperser dans la foule. Sélim les y suivit, et moi aussi, dit l’auteur africain, quoique j’eusse plus envie de dormir que de voir danser…