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maîtresses, à des libertines ; mais un homme tendre et délicat ne s’en accommode point. Elle peut tout au plus l’amuser, quand il a le cœur libre, et qu’il veut faire des comparaisons. En un mot, une femme galante ne serait pas du tout mon fait.

« — Tu as raison, mon cher Amisadar ; tu penses à ravir. Mais aimes-tu quelque chose à présent ?

« — Non, madame, si ce n’est vous ; mais je n’ose vous le dire…

« — Ah ! mon cher, ose : tu veux dire, » lui répliqua Fanni en le regardant fixement.

« Amisadar entendit cette réponse à merveille, s’avança sur le canapé, se mit à badiner avec un ruban qui descendait sur la gorge de Fanni ; et on le laissa faire. Sa main, qui ne trouvait aucun obstacle, se glissait. On continuait de le charger de regards, qu’il ne mésinterprétait point. Je m’apercevais bien, moi, dit le bijou, qu’il avait raison. Il prit un baiser sur cette gorge qu’il avait tant louée, on le pressait de finir, mais d’un ton à s’offenser s’il obéissait. Aussi n’en fit-il rien. Il baisait les mains, revenait à la gorge, passait à la bouche ; rien ne lui résistait. Insensiblement la jambe de Fanni se trouva sur les cuisses d’Amisadar. Il y porta la main : elle était fine. Amisadar ne manqua pas de le remarquer. On écouta son éloge d’un air distrait. À la faveur de cette inattention, la main d’Amisadar fit des progrès : elle parvint assez rapidement aux genoux. L’inattention dura, et Amisadar travaillait à s’arranger, lorsque Fanni revint à elle. Elle accusa le petit philosophe de manquer de respect ; mais il fut à son tour si distrait, qu’il n’entendit rien, ou qu’il ne répondit aux reproches qu’on lui faisait, qu’en achevant son bonheur.

« Qu’il me parut charmant ! dans la multitude de ceux qui l’ont précédé et suivi, aucun ne fut tant à mon gré. Je ne puis en parler sans tressaillir. Mais souffrez que je reprenne haleine : il me semble qu’il y a bien assez longtemps que je parle, pour quelqu’un qui s’en acquitte pour la première fois. »

Alonzo ne perdit pas un mot du bijou de Fanni ; et il n’était pas moins pressé que Mangogul d’apprendre le reste de l’aventure : ils n’eurent le temps ni l’un ni l’autre de s’impatienter, et le bijou historien reprit en ces termes :

« Autant que j’ai pu comprendre à force de réflexions, c’est