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« — Ce fut, me dit-elle, l’ami et la victime de l’une et de l’autre. Il s’occupa, tant qu’il vécut, à rendre ses concitoyens éclairés et vertueux ; et ses concitoyens ingrats lui ôtèrent la vie[1].

« — Et ce buste qu’on a mis au-dessous ?

« — Lequel ? celui qui paraît soutenu par les Grâces qu’on a sculptées sur les faces de son piédestal ?

« — Celui-là même.

« — C’est le disciple[2] et l’héritier de l’esprit et des maximes du vertueux infortuné dont je vous ai parlé.

« — Et ce gros joufflu, qu’on a couronné de pampre et de myrte, qui est-il ?

« — C’est un philosophe aimable[3], qui fit son unique occupation de chanter et de goûter le plaisir. Il mourut entre les bras de la Volupté.

« — Et cet autre aveugle ?

— C’est[4] … » me dit-elle.

« Mais je n’attendis pas sa réponse : il me sembla que j’étais en pays de connaissance ; et je m’approchai avec précipitation du buste qu’on avait placé en face[5]. Il était posé sur un trophée des différents attributs des sciences et des arts : les Amours folâtraient entre eux sur un des côtés de son piédestal. On avait groupé sur l’autre les génies de la politique, de l’histoire et de la philosophie. On voyait sur le troisième, ici deux armées rangées en bataille : l’étonnement et l’horreur régnaient sur tous les visages ; on y découvrait aussi des vestiges de l’admiration et de la pitié. Ces sentiments naissaient apparemment des objets qui s’offraient à la vue. C’était un jeune homme expirant, et à ses côtés un guerrier plus âgé qui tournait ses armes contre lui-même. Tout était dans ces figures de la dernière beauté ; et le désespoir de l’une, et la langueur mortelle qui parcourait les membres de l’autre. Je m’approchai, et je lus au-dessous en lettres d’or :

. . . . . . . . . . Hélas ! c’était son fils ![6]

  1. Socrate.
  2. Platon.
  3. Anacréon.
  4. La Motte ?.
  5. Voltaire.
  6. Vers de la Henriade, chant viii, v. 260.