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donc tombées dans le dernier degré de l’avilissement ! Un comédien ! l’esclave du public ! un baladin ! Encore, si ces gens-là n’avaient que leur état contre eux ; mais la plupart sont sans mœurs, sans sentiments ; et entre eux, cet Orgogli n’est qu’une machine. Il n’a jamais pensé ; et s’il n’eût point appris de rôles, peut-être ne parlerait-il pas…

— Délices de mon cœur, lui répondit Mangogul, vous n’y pensez pas, avec votre lamentation. Avez-vous donc oublié la meute d’Haria ? Parbleu, un comédien vaut bien un gredin, ce me semble.

— Vous avez raison, prince, lui répliqua la favorite ; je suis folle de m’intriguer pour des créatures qui n’en valent pas la peine. Que Palabria soit idolâtre de ses magots, que Salica fasse traiter ses vapeurs par Farfadi comme elle l’entend, qu’Haria vive et meure au milieu de ses bêtes, qu’Ériphile s’abandonne à tous les baladins du Congo, que m’importe à moi ? Je ne risque à tout cela qu’un château. Je sens qu’il faut s’en détacher, et m’y voilà toute résolue…

— Adieu donc le petit sapajou, dit Mangogul.

— Adieu le petit sapajou, répliqua Mirzoza, et la bonne opinion que j’avais de mon sexe : je crois que je n’en reviendrai jamais. Prince ; vous me permettrez de n’admettre de femmes chez moi de plus de quinze jours.

— Il faut pourtant avoir quelqu’un, ajouta le sultan.

— Je jouirai de votre compagnie, ou je l’attendrai, répondit la favorite ; et si j’ai des instants de trop, j’en disposerai en faveur de Ricaric et de Sélim, qui me sont attachés, et dont j’aime la société. Quand je serai lasse de l’érudition de mon lecteur, votre courtisan me réjouira des aventures de sa jeunesse. »

CHAPITRE XXXVIII.

entretien sur les lettres[1]

La favorite aimait les beaux esprits, sans se piquer d’être bel esprit elle-même. On voyait sur sa toilette, entre les diamants

  1. C’est ce chapitre qui frappa si vivement Lessing. Voici une partie de ce qu’il dit à ce sujet : « Diderot, bien avant le Fils naturel et les Entretiens qui parurent