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sur elles, leurs bijoux se turent subitement ; et un silence profond succéda au bruit qu’ils faisaient. Alors le sultan se leva, et lançant sur nos jeunes étourdis des regards furieux :

« Vous êtes bien osés, leur dit-il, de déchirer des femmes dont vous n’avez jamais eu l’honneur d’approcher, et qui vous connaissent à peine de nom. Qui vous a fait assez hardis pour mentir en ma présence ? Tremblez, malheureux ! »

À ces mots, il porta la main sur son cimeterre ; mais les femmes, effrayées, poussèrent un cri qui l’arrêta.

« J’allais, reprit Mangogul, vous donner la mort que vous avez méritée ; mais c’est aux dames à qui vous avez fait injure à décider de votre sort. Vils insectes, il va dépendre d’elles de vous écraser ou de vous laisser vivre. Parlez, mesdames, qu’ordonnez-vous ?

— Qu’ils vivent, dit Mirzoza ; et qu’ils se taisent, s’il est possible.

— Vivez, reprit le sultan ; ces dames vous le permettent ; mais si vous oubliez jamais à quelle condition, je jure par l’âme de mon père… »

Mangogul n’acheva pas[1] son serment ; il fut interrompu par un des gentilshommes de sa chambre, qui l’avertit que les comédiens étaient prêts. Ce prince s’était imposé la loi de ne jamais retarder les spectacles. « Qu’on commence, » dit-il ; et à l’instant il donna la main à la favorite, qu’il accompagna jusqu’à sa loge.

CHAPITRE XXXVII.

dix-septième essai de l’anneau.

la comédie.

Si l’on eût connu dans le Congo le goût de la bonne déclamation, il y avait des comédiens dont on eût pu se passer. Entre trente personnes qui composaient la troupe, à peine comptait-on un grand acteur et deux actrices passables. Le génie des auteurs était obligé de se prêter à la médiocrité du grand nombre, et l’on ne pouvait se flatter qu’une pièce serait jouée

  1. Voyez Virgile et Scarron.