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d’Églé ? Mais je n’y pense pas ; il faudrait pour cela consulter son bijou ; et la pauvre recluse périt d’ennui à quatre-vingts lieues d’ici…

— Vous intéressez-vous beaucoup, lui répondit Mangogul, au sort d’Églé ?

— Oui, prince ; surtout si elle est innocente, dit Mirzoza…

— Vous en aurez des nouvelles avant une heure d’ici, répliqua Mangogul, Ne vous souvient-il plus des propriétés de ma bague ?… »

À ces mots, il passa dans ses jardins, tourna son anneau et se trouva en moins de quinze minutes dans le parc du château qu’habitait Églé.

Il y découvrit Églé seule et accablée de douleur ; elle avait la tête appuyée sur sa main ; elle proférait tendrement le nom de son époux, et elle arrosait de ses larmes un gazon sur lequel elle était assise. Mangogul s’approcha d’elle en tournant son anneau, et le bijou d’Églé dit tristement : « J’aime Célébi. » Le sultan attendit la suite ; mais la suite ne venant point, il s’en prit à son anneau, qu’il frotta deux ou trois fois contre son chapeau, avant que de le diriger sur Églé mais sa peine fut inutile. Le bijou reprit : « J’aime Célébi » ; et s’arrêta tout court.

« Voilà, dit le sultan, un bijou bien discret. Voyons encore et serrons-lui de plus près le bouton. » En même temps il donna à sa bague toute l’énergie qu’elle pouvait recevoir, et la tourna subitement sur Églé ; mais son bijou resta muet, il garda constamment le silence, ou ne l’interrompit que pour répéter ces paroles plaintives : « J’aime Célébi, et n’en ai jamais aimé d’autres. »

Mangogul prit son parti et revint en quinze minutes chez Mirzoza.

« Quoi ! prince, dit-elle, déjà de retour ? Eh bien ! qu’avez-vous appris ? Rapportez-vous matière à nos conversations ?…

— Je ne rapporte rien, lui répondit le sultan.

— Quoi ! rien ?

— Précisément rien. Je n’ai jamais entendu de bijou plus taciturne, et n’en ai pu tirer que ces mots : « J’aime Célébi ; j’aime Célébi, et n’en ai jamais aimé d’autres. »

— Ah ! prince, reprit vivement Mirzoza, que me dites-vous