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« — Je vous conseille, répondit Haria d’un ton courroucé, de m’adresser de pareils discours ! Vraiment, il sied bien à un misérable cadet de Gascogne, que j’ai tiré d’un galetas qui n’était pas assez bon pour mes chiens, de faire ici le délicat ! On parfumait apparemment vos draps, mon petit seigneur, quand vous logiez en chambre garnie. Sachez, une bonne fois pour toujours, que mes chiens étaient longtemps avant vous en possession de mon lit, et que vous pouvez en sortir, ou vous résoudre à le partager avec eux. »

« La déclaration était précise, et nos chiens restèrent maîtres de leur poste ; mais une nuit que nous reposions tous, Sindor en se retournant, frappa malheureusement du pied Zinzoline. La levrette, qui n’était point faite à ces traitements, lui mordit le gras de la jambe, et madame fut aussitôt réveillée par les cris de Sindor.

« — Qu’avez vous donc, monsieur ? lui dit-elle ; il semble qu’on vous égorge. Rêvez-vous ?

« — Ce sont vos chiens, madame, lui répondit Sindor, qui me dévorent, et votre levrette vient de m’emporter un morceau de la jambe.

« — N’est-ce que cela ? dit Haria en se retournant, vous faites bien du bruit pour rien. »

« Sindor, piqué de ce discours, sortit du lit, jurant de ne point y remettre le pied que la meute n’en fût bannie. Il employa des amis communs pour obtenir l’exil des chiens ; mais tous échouèrent dans cette négociation importante. Haria leur répondit : « Que Sindor était un freluquet qu’elle avait tiré d’un grenier qu’il partageait avec des souris et des rats ; qu’il ne lui convenait point de faire tant le difficile ; qu’il dormait toute la nuit ; qu’elle aimait ses chiens ; qu’ils l’amusaient ; qu’elle avait pris goût à leurs caresses dès la plus tendre enfance, et qu’elle était résolue de ne s’en séparer qu’à la mort. Encore dites-lui, continua-t-elle en s’adressant aux médiateurs, que s’il ne se soumet humblement à mes volontés, il s’en repentira toute sa vie ; que je rétracterai la donation que je lui ai faite, et que je l’ajouterai aux sommes que je laisse par mon testament pour la subsistance et l’entretien de mes chers enfants. »

« Entre nous, ajoutait le bijou, il fallait que Sindor fût un grand sot d’espérer qu’on ferait pour lui ce que n’avaient pu