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de l’inexactitude de mon énumération, et j’ajouterai la femme tendre aux caractères précédents ; mais à condition que vous m’en donnerez une définition qui ne retombe dans aucune des miennes.

— Très volontiers, dit Mirzoza. Je compte en venir à bout sans sortir de votre système.

— Voyons, ajouta Mangogul.

— Eh bien ! reprit la favorite… La femme tendre est celle…

— Courage, Mirzoza, dit Mangogul.

— Oh ! ne me troublez point, s’il vous plaît. La femme tendre est celle… qui a aimé sans que son bijou parlât, ou… dont le bijou n’a jamais parlé qu’en faveur du seul homme qu’elle aimait. »

Il n’eût pas été galant au sultan de chicaner la favorite, et de lui demander ce qu’elle entendait par aimer ; aussi n’en fit-il rien. Mirzoza prit son silence pour un aveu, et ajouta, toute fière de s’être tirée d’un pas qui lui paraissait difficile : « Vous croyez, vous autres hommes, parce que nous n’argumentons pas, que nous ne raisonnons point. Apprenez une bonne fois que nous trouverions aussi facilement le faux de vos paradoxes, que vous celui de nos raisons, si nous voulions nous en donner la peine. Si Votre Hautesse était moins pressée de satisfaire sa curiosité sur les gredins, je lui donnerais à mon tour un petit échantillon de ma philosophie. Mais elle n’y perdra rien ; ce sera pour quelqu’un de ces jours, qu’elle aura plus de temps à m’accorder. »

Mangogul lui répondit qu’il n’avait rien de mieux à faire que de profiter de ses idées philosophiques ; que la métaphysique d’une sultane de vingt-deux ans ne devait pas être moins singulière que la morale d’un sultan de son âge.

Mais Mirzoza appréhendant qu’il n’y eût de la complaisance de la part de Mangogul, lui demanda quelque temps pour se préparer, et fournit ainsi au sultan un prétexte pour voler où son impatience pouvait l’appeler.