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tent : il y aurait de l’impiété à assurer le contraire. Mon bijou peut donc parler quand et tant qu’il voudra : que dira-t-il, après tout ? »

On entendit alors une voix sourde qui semblait sortir de dessous terre, et qui répondit comme par écho : « Bien des choses. » Ismène ne s’imaginant point d’où venait la réponse, s’emporta, apostropha ses voisines, et fit durer l’amusement du cercle. Le sultan, ravi de ce qu’elle prenait le change, quitta son ministre, avec qui il conférait à l’écart, s’approcha d’elle, et lui dit : « Prenez garde, madame, que vous n’ayez admis autre fois dans votre confidence quelqu’une de ces dames, et que leurs bijoux n’aient la malice de rappeler des histoires dont le vôtre aurait perdu le souvenir. »

En même temps, tournant et retournant sa bague à propos, Mangogul établit entre la dame et son bijou, un dialogue assez singulier. Ismène, qui avait toujours assez bien mené ses petites affaires, et qui n’avait jamais eu de confidentes, répondit au sultan que tout l’art des médisants serait ici superflu.

« Peut-être, répondit la voix inconnue.

— Comment ! peut-être ? reprit Ismène piquée de ce doute injurieux. Qu’aurais-je à craindre d’eux ?…

— Tout, s’ils en savaient autant que moi.

— Et que savez-vous ?

— Bien des choses, vous dis-je.

— Bien des choses, cela annonce beaucoup, et ne signifie rien. Pourriez-vous en détailler quelques-unes ?

— Sans doute.

— Et dans quel genre encore ? Ai-je eu des affaires de cœur ?

— Non.

— Des intrigues ? des aventures ?

— Tout justement.

— Et avec qui, s’il vous plaît ? avec des petits-maîtres, des militaires, des sénateurs ?

— Non.

— Des comédiens ?

— Non.

— Vous verrez que ce sera avec mes pages, mes laquais, mon directeur, ou l’aumônier de mon mari.