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assemblée de savants de votre ordre ; mais qu’en conséquence de cette distension et contraction, le delphus puisse rendre des sons plus ou moins aigus, en un mot, toutes les inflexions de la voix et les tons du chant, c’est un fait que je me flatte de mettre hors de doute. C’est à l’expérience que j’en appellerai. Oui, messieurs, je m’engage à faire raisonner, parler, et même chanter devant vous, et delphus et bijoux. »

Ainsi harangua Orcotome, ne se promettant pas moins que d’élever les bijoux au niveau des trachées d’un de ses confrères, dont la jalousie avait attaqué vainement les succès.

CHAPITRE X,

moins savant et moins ennuyeux que le précédent.

suite de la séance académique.

Il parut, aux difficultés qu’on proposa à Orcotome, en attendant ses expériences, qu’on trouvait ses idées moins solides qu’ingénieuses. « Si les bijoux ont la faculté naturelle de parler, pourquoi, lui dit-on, ont-ils tant attendu pour en faire usage ? S’il était de la bonté de Brahma, à qui il a plu d’inspirer aux femmes un si violent désir de parler, de doubler en elles les organes de la parole, il est bien étrange qu’elles aient ignoré ou négligé si longtemps ce don précieux de la nature. Pourquoi le même bijou n’a-t-il parlé qu’une fois ? pourquoi n’ont-ils parlé tous que sur la même matière ? Par quel mécanisme se fait-il qu’une des bouches se tait forcément, tandis que l’autre parle ? D’ailleurs, ajoutait-on, à juger du caquet des bijoux par les circonstances dans lesquelles la plupart d’entre eux ont parlé, et par les choses qu’ils ont dites, il y a tout lieu de croire qu’il est involontaire, et que ces parties auraient continué d’être muettes, s’il eût été dans la puissance de celles qui les portaient de leur imposer silence. »

Orcotome se mit en devoir de satisfaire à ces objections, et soutint que les bijoux ont parlé de tout temps ; mais si bas, que ce qu’ils disaient était quelquefois à peine entendu, même de celles à qui ils appartenaient ; qu’il n’est pas étonnant qu’ils aient haussé le ton de nos jours, qu’on a poussé la liberté de la