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leurs bijoux ; ah ! ah ! ah ! Songez, délices de mon cœur, que je vous attendrai chez la grande sultane, et que je ne ferai point usage de mon anneau que vous n’y soyez.

— Prince, au moins, dit Mirzoza, je compte sur la parole que vous m’avez donnée. » Mangogul sourit de ses alarmes, lui réitéra ses promesses, y joignit quelques caresses, et se retira.

CHAPITRE VI

premier essai de l’anneau.

alcine.

Mangogul se rendit le premier chez la grande sultane ; il y trouva toutes les femmes occupées d’un cavagnole[1] : il parcourut des yeux celles dont la réputation était faite, résolu d’essayer son anneau sur une d’elles, et il ne fut embarrassé que du choix. Il était incertain par qui commencer, lorsqu’il aperçut dans une croisée une jeune dame du palais de la Manimonbanda : elle badinait avec son époux ; ce qui parut singulier au sultan, car il y avait plus de huit jours qu’ils s’étaient mariés : ils s’étaient montrés dans la même loge à l’opéra, et dans la même calèche au petit cours ou au bois de Boulogne ; ils avaient achevé leurs visites, et l’usage les dispensait de s’aimer, et même de se rencontrer. « Si ce bijou, disait Mangogul en lui-même, est aussi fou que sa maîtresse, nous allons avoir un monologue réjouissant. » Il en était là du sien, quand la favorite parut.

« Soyez la bienvenue, lui dit le sultan à l’oreille. J’ai jeté mon plomb en vous attendant.

— Et sur qui ? lui demanda Mirzoza.

— Sur ces gens que vous voyez folâtrer dans cette croisée, lui répondit Mangogul du coin de l’œil.

— Bien débuté, » reprit la favorite.

Alcine (c’est le nom de la jeune dame) était vive et jolie. La cour du sultan n’avait guère de femmes plus aimables, et n’en

  1. Jeu de hasard fort à la mode, un peu dans le genre du biribi et de notre loto. Voyez Promenade du Sceptique, t. I.