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Quelle force n’a point ce discours sacrilège ! je vois les satellites de Moïse semblables à des tigres furieux, l’œil étincelant, l’air enragé, courir par le camp d’Israël, voler de tente en tente et porter partout avec eux la fureur, la mort, le carnage, l’horreur. Hommes, femmes et enfants, tout tombe sous le fer meurtrier des esclaves de Moïse. Le zèle pour leur Dieu les anime. Dieu lui-même les agite : ils ne sont plus des hommes, mais des monstres furieux, insensibles à la vue des membres palpitants et du sang de leurs plus proches parents : les cris lamentables de ceux-ci ne se font plus entendre à ces cœurs féroces que la rage de leur Dieu transporte. Ici coule le sang d’un fils massacré par son père, là fument encore les entrailles d’un père égorgé par son fils ; plus loin un époux sanguinaire et dénaturé poignarde du même coup et son innocente femme et le fruit malheureux qu’elle porte. Vingt-trois mille hommes périssent dans cet affreux carnage.

Arrêtez, enfants de Lévi, le soleil refuse d’éclairer vos forfaits, et votre Dieu veut épargner le reste du peuple pour l’exterminer dans un autre temps. Venez recevoir les bénédictions que méritent vos crimes. Soyez bénis du Très-Haut, vous que sa gloire intéresse : que la rosée du ciel tombe sur vos terres humectées du sang de vos proches : que l’huile et le vin soient chez vous en abondance : soyez riches en moissons et en troupeaux : que vos descendants peuplent la terre, et que leur nombre soit comparable aux grains de sable et aux atomes.

Mais fuyons ce triste séjour. Les cris des assassins, les plaintes des mourants, le sang des morts le rendent trop affreux.

Hauts, fiers, généreux, entreprenant, Dathan et Abiron reprochent avec respect et soumission à Moïse sa fourberie, son orgueil extrême et le pouvoir qu’il veut usurper sur Israël. Dathan et Abiron, vous périrez : mais périrez-vous seuls ? non : vos femmes, vos enfants, vos troupeaux, tout ce qui vous appartient périra avec vous. La terre s’entr’ouvre et déjà je ne vois plus les ennemis de Moïse. Les enfants de Jacob murmurent : ils suivront Abiron. Des serpents monstrueux, sortis des entrailles de la terre par l’ordre du ciel, jettent partout l’effroi et la consternation, et ne laissent la vie qu’à une poignée d’hommes, que la peste va bientôt détruire. Je les aperçois déjà faibles, pâles,