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mençai d’écrire, et qui même a mis dans mes premiers ouvrages plusieurs morceaux qui ne tranchent point avec le reste[1] et qu’on ne saurait distinguer, du moins quant au style. Il est certain que sa tournure et la mienne, surtout dans mes premiers ouvrages, dont la diction est, comme la sienne, un peu sautante et sententieuse, sont, parmi celles de nos contemporains, les deux qui se ressemblent le plus. »

Et en note, à propos de quant au style : « Quant aux pensées, celles qu’il a eu la bonté de me prêter et que j’ai eu la bêtise d’adopter sont bien faciles[2] à distinguer des miennes, comme on peut voir dans celle du philosophe qui s’argumente en enfonçant son bonnet sur ses oreilles (Discours sur l’inégalité), car ce morceau est de lui tout entier. Il est certain que M. Diderot abusa toujours de ma confiance et de ma facilité pour donner à mes écrits un ton dur et un air noir qu’ils n’eurent plus sitôt qu’il cessa de me diriger et que je fus tout à fait livré à moi-même. »

Les mêmes renseignements sont donnés dans les Confessions (liv. VIII). Nous n’en voulons pas tirer de conséquences désagréables à Rousseau, qui démontre cependant par là que ses premiers succès n’étaient pas tout à lui ; mais nous ne pouvons nous dispenser de revendiquer pour Diderot ce morceau sur le philosophe qui se bouche les oreilles pour s’argumenter. Un éditeur (Œuvres de Rousseau, Hachette, 1858), par une malheureuse inadvertance, a dit que ce portrait était Diderot, au lieu de dire qu’il était de Diderot. Et voilà comme une simple préposition oubliée transforme la mention d’un fait en une douloureuse calomnie.




Je ne crois pas avoir aucune contradiction à craindre en accordant à l’homme la seule vertu naturelle qu’ait été forcé de reconnaître le détracteur le plus outré des vertus humaines. Je parle de la pitié, disposition convenable à des êtres aussi faibles et sujets à autant de maux que nous le sommes ; vertu d’autant plus universelle et d’autant plus utile à l’homme, qu’elle précède en lui l’usage de toute réflexion, et si naturelle, que les bêtes mêmes en donnent quelquefois des signes sensibles. Sans parler de la tendresse des mères pour leurs petits, et des périls

  1. Ce qui est naturel, puisque, d’après la phrase précédente, c’était Rousseau l’imitateur.
  2. Nouvelle habileté de Rousseau. Tout ce qui n’est pas doux, aimable, gracieux et poli n’est pas de lui.