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CHAPITRE XIII.


Page 213. — Le beau cesse à la longue de l’être pour moi.

Je ne crois pas cela. Ce qui est vrai reste vrai, ce qui est bon ne cesse pas de l’être, le beau est toujours beau. Il n’y a que ma sensation qui varie. Je passe devant la colonnade du Louvre sans la regarder, en est-elle moins belle pour moi ? Nullement.


CHAPITRE XIV.


Page 220. — Helvétius suppose ici avec Longin et Boileau une beauté dans Homère qui n’y est point. Homère ne dit pas :


Grand Dieu, chasse la nuit qui nous couvre les yeux
Et combats contre nous à la clarté des cieux…


Il dit : Grand Dieu, chasse la nuit qui nous couvre les yeux, et si tu as résolu de nous perdre, perds-nous du moins à la clarté des cieux.

Ce passage devint, il y a une vingtaine d’années et plus, le sujet d’une discussion assez vive entre le jésuite Berthier et moi[1]. Je soutenais que l’Ajax de Longin et de Boileau n’était qu’un impie, et que l’Ajax d’Homère était pieux et touchant. Il m’arriva ce qui arrive presque toujours à ceux qui ne se possèdent pas assez, c’est de perdre une partie de leur avantage.

Je voudrais bien savoir ce que le Journaliste m’eût répondu si je lui avais dit : Eh bien, mon père, Ajax, à votre avis, est donc un impie, un sublime impie qui défie le maître des dieux ? Cependant si dans toute l’Iliade, si parmi tous les héros grecs il y en avait un seul qui, sur le point de s’engager dans un combat périlleux, invitât l’armée à se mettre en prière, que penseriez-vous de ce héros ? l’appelleriez-vous un impie ? serait-ce là le caractère que le poëte se serait proposé de lui donner ? Vous savez par cœur, je n’en doute pas, tous les noms des chefs de la Grèce ; comment appelez-vous celui-là ? Est-ce Achille, Agamemnon, Patrocle, Diomède, Ajax ? Certainement ce ne peut

  1. Voir tome I, dans les additions à la Lettre sur les sourds et muets, la Réponse au journaliste de Trévoux.