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Croyez-moi, huit ou dix heures de scie vous auraient bientôt adouci les ennuis de l’Œil-de-Bœuf.

Je sais très-bien que chaque état a ses disgrâces. Je lisais à quinze ans, je relisais à trente, dans Horace, que nous ne sentons bien que les peines du nôtre, et je riais et de l’avocat qui envie le sort de l’agriculteur, et de l’agriculteur qui envie le sort du commerçant, et du commerçant qui envie le sort du soldat, et du soldat qui jure et tempête contre les dangers de son métier, la modicité de sa paye et la dureté de son caporal ou de son capitaine[1] ; avec tout cela je m’aime mieux étendu nonchalamment dans mon fauteuil, mes rideaux tirés, mon bonnet renfoncé sur les yeux, occupé à décomposer des idées, qu’à battre le ciment, quoique je ne fasse aucune comparaison de la réprimande du piqueur et de la satire du critique rongé d’envie et plein de mauvaise foi. Certainement un coup de sifflet au théâtre fait plus de mal à un auteur que dix coups de bâton n’en font au manouvrier paresseux ou maladroit ; mais, au bout de huit jours, l’auteur sifflé n’y pense plus, et le plâtre pèse toujours également sur les épaules courbées du porteur d’oiseau[2].


CHAPITRE III.


Page 193. — L’ennui est un mal presque aussi redoutable que l’indigence.

Voilà bien le propos d’un homme riche et qui n’a jamais été en peine de son dîner.

Je vois à la préférence qu’Helvétius donne à la condition du valet sur celle du maître, qu’il a été bon maître, et qu’il ignore la brutalité, la dureté, les humeurs, la bizarrerie, le despotisme de la plupart des autres.

Servir est la dernière des conditions, et ce n’est jamais que la paresse ou quelque autre vice qui fasse balancer entre la livrée et des crochets. Puisque ayant des épaules fortes et des jarrets nerveux ils ont mieux aimé vider une chaise percée que de porter un fardeau, c’est qu’ils avaient l’âme vile.

  1. Horace, Satires, liv. I, sat. i.
  2. C’est une planche arrondie avec bord unique à angle droit pour retenir le mortier. Deux bras fixés à cette planche passent sur chaque épaule du goujat qui, pour vider sa charge, fait basculer l’instrument. La description de l’oiseau, dans Littré, est fausse, et, par suite, l’étymologie augeau.