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Lorsqu’ils se présentèrent en France et qu’on leur demanda ce qu’ils étaient : réguliers ? Ils répondirent non ; séculiers ? Ils répondirent non, et ils avaient raison.

Leur fondateur était un militaire. Leur institution fut militaire : le Christ fut le chef de la troupe, le général en fut le colonel ; le reste fut ou capitaine, ou lieutenant, ou sergent ou soldat.

Cela fait rire, mais cela n’en est pas moins vrai.

C’était un véritable ordre de chevalerie. Et quels étaient les ennemis qu’ils avaient à combattre ? Le diable, ou l’incrédulité, le vice et l’ignorance. Ils faisaient des missions aux environs et au loin contre l’incrédulité. Ils prêchaient dans les villes contre le vice, ils tenaient des écoles contre l’ignorance ; tous marchaient sous l’étendard de la vierge Marie, la Dulcinée de saint Ignace.

Ajoutez que l’établissement de cet ordre fut presque immédiat au temps de la chevalerie espagnole, des paladins et du don-quichottisme.

Il ne resta de l’esprit du fondateur que le fanatisme. Ils avaient tellement dégénéré sous le troisième généralat, qu’un de leurs anciens écrivains, dont le nom ne me revient pas, leur disait : « Vous êtes devenus ambitieux et politiques ; vous courez après l’or ; vous méprisez les études et la vertu ; vous fréquentez les grands. Vous vous acheminez si promptement au vice et à la puissance, que les souverains désireront votre extinction et ne sauront comment l’exécuter. »


NOTES.


Page 173. — Il est vrai que la loi militaire contraint un soldat à fusiller son compagnon et son ami[1] ; mais c’est une loi atroce contre laquelle on s’est récrié de tout temps.

Est-il juste de reprocher à une nation le vice d’un état par-

  1. Helvétius prétend que cette loi « ne prouve pas de la part du gouvernement un grand respect pour l’amitié et l’obéissance à cette loi (de la part du soldat) une grande tendresse pour ses amis. » C’est une réponse aux critiques faites contre son chapitre de l’Amitié, dans l’Esprit, critiques, dit-il, d’après lesquelles « on eût cru Paris peuplé d’Orestes et de Pylades. »