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à l’homme et à l’animal, et qui nous montre un homme à la place d’un cerf.

Page 24. — Si le peuple retourne aux exécutions publiques, ce n’est point pour voir souffrir ; au contraire, il va chercher un sentiment de pitié, un sujet de pérorer ; à son retour, il fait un rôle, les voisins s’assemblent autour de lui, pendentes ab ore loquentis.

Ibid. — Je comparerais volontiers un champ de bataille[1] à une table d’un jeu ruineux. Le soldat victorieux emporte la dépouille du soldat moribond, comme le joueur fortuné la bourse du joueur désespéré. J’en use avec autrui comme il en aurait usé avec moi ; pourquoi aurais-je aujourd’hui une sotte pitié que je ne trouverais pas demain ?

Page 25. — Celui qui donne des commisérations à son maître lave ses mains dans son propre sang. C’est Saadi qui le dit.

Mais ce poëte raconte qu’un malheureux traîné au supplice chargeait le tyran d’imprécations, que le tyran, trop éloigné du malheureux pour l’entendre, ayant demandé ce qu’il disait, un courtisan lui répondit : « Seigneur, il dit que celui qui fera miséricorde en ce monde l’obtiendra dans l’autre… » qu’un autre courtisan reprenant la parole, ajouta : « Seigneur, on te fait un mensonge ; le malheureux que tu as condamné au supplice pour ses forfaits le mériterait par les imprécations qu’il vomit contre toi… — N’importe, reprit le sultan, je lui fais grâce, qu’on le lâche ; j’aime mieux un mensonge qui me rend miséricordieux qu’une vérité qui me rendrait cruel. »

Page 26. — Il est des hommes bons, mais l’humanité est en eux l’effet de l’éducation et non de la nature.

Toujours ! Je n’en crois rien. Quelque éducation qu’on eût donnée à la bête féroce qui examinait avec une joie curieuse les convulsions du capucin qu’il avait assassiné, j’ai peine à m’imaginer qu’elle en eût fait un homme bien tendre et bien compatissant.

On ne donne point ce que la nature a refusé ; peut-être détruit-on ce qu’elle a donné. La culture de l’éducation améliore ses dons.

  1. « Qu’on se rappelle le tableau d’un champ de bataille au moment qui suit la victoire, lorsque la plaine est encore jonchée de morts et de mourants ; lorsque l’avarice et la cupidité portent leurs regards avides sur les vêtements sanglants des victimes encore palpitantes… s’en approchent et les dépouillent. » De l’Homme.