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Je demande à Helvétius s’il voit ici plus de chance que dans l’exécution d’un projet de finance et la suite d’un procès au Palais et au Châtelet ? Cependant l’histoire de cette prétendue découverte est celle de toutes les découvertes réelles. Si Helvétius me répond opiniâtrement : Hasard, hasard… je dis : Élevons des autels au hasard et plaçons son nom à la tête de tous les ouvrages de génie.

S’il avoue que c’est une aiïaire de logique, j’insisterai et je lui demanderai s’il croit tout esprit capable de cette logique ? S’il répond qu’oui, je lui répliquerai qu’il n’y a peut-être pas un homme au monde capable de prononcer sur la solution de mon jeune homme, sans l’avoir examinée, puisqu’il n’y en a certainement pas un en état de démontrer la possibilité ou l’impossibilité de la seconde condition de l’espace qu’il se flatte d’avoir trouvé[1].

Et puis après une histoire sérieuse, un petit conte gai.

Jupiter avait dîné chez les Galactophages (ces Galactophages n’étaient point des hommes ; car, certainement il n’y avait point encore d’hommes sur la terre solitaire et muette), et le père des dieux se proposait bien de se dédommager d’un dîner frugal par un bon souper. En attendant, on commence un whist ; on joue, on se querelle. Jupiter prend de l’humeur et crie : Est-ce qu’on ne servira point ?… On sert. Les dieux s’asseyent en tumulte, et Jupiter se trouve placé entre sa femme et Minerve sa fille ; la déesse de la Sagesse avait son père à sa droite et Momus à sa gauche. Son père lui donnait des conseils fort sérieux ; car Jupiter est sérieux, même dans le vin ; et Momus, ivre ou à jeun, toujours fou, lui serrait la main, lui pressait le genou et lui débitait des sornettes. « Ma fille, lui disait Jupiter, entre la poire et le fromage, il y a environ cinquante-cinq siècles et demi que j’accouchai de vous ; vous commencez à devenir grandelette ; que ne vous mariez-vous ? Je n’aime pas le célibat ; tous les célibataires, mâles ou femelles, sont des vauriens. Plus je vous examine, plus je vous trouve propre à bien faire et à bien élever des enfants ; vous serez une bonne épouse et une excellente mère. La virginité est une vertu bien stérile. Allons, mon enfant, promets-moi que tu t’ennuieras un jour d’être vierge… »

  1. Ne serait-ce point là ce « mémoire de mathématiques » auquel Diderot fait allusion dans la lettre que nous avons citée plus haut ? (Notice préliminaire du Dialogue entre Diderot et D’Alembert.)