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l’autorité s’emploie en faveur des opinions les plus contradictoires : reproche fait aux auteurs sacrés, dans des productions hétérodoxes où l’on remarque à chaque ligne le même défaut, avec cette différence qu’il est un peu plus permis à l’homme de biaiser qu’à l’Esprit-Saint.

Encore une observation, et je ferme le premier volume. Helvétius dit quelque part (je crois page 29) : Le vœu de l’homme médiocre, c’est de n’avoir point de supérieur.

Helvétius, dites de tout homme, cela est dans vos principes ; n’exceptez que l’homme supérieur qui peut-être se croit l’homme unique.

Nos désirs les plus illimités se réduisent à garder les avantages de notre sort et à envahir les avantages du sort d’autrui ; c’est là toute la valeur de ce propos si commun et si ridicule : je voudrais bien être à sa place. Mécontents du présent et du passé, il n’y a point d’avenir dont nous craignions moins que du nôtre.

Avant que dépasser au volume suivant, il me prend en fantaisie de réciter à Helvétius l’histoire de quelque grande découverte et d’entremêler ce récit de quelques questions.

Des parents, qui n’étaient ni pauvres ni riches, avaient plusieurs enfants ; ils faisaient cas de l’éducation, et pour assurer l’éducation de ces enfants, ils en étudiaient les dispositions naturelles… et cela vous paraît fou ? Ils crurent apercevoir dans l’aîné de deux garçons qu’il avait du goût pour la lecture et pour l’étude. Ils l’envoyèrent au collège de la province où il se distingua, et de là à Paris, dans les classes de l’université où ses maîtres ne purent jamais vaincre son dédain pour les frivolités de la scolastique. On lui mit entre les mains des cahiers d’arithmétique, d’algèbre et de géométrie qu’il dévora. Entraîné par la suite à des études plus agréables, il se plut à la lecture d’Homère, de Virgile, du Tasse et de Milton, mais revenant toujours aux mathématiques, comme un époux infidèle, las de sa maîtresse, revient de temps en temps à sa femme… Monsieur Helvétius, qu’est-ce qu’il y a de merveilleux et de fortuit dans tout cela ?

À la promenade, chez lui à la chute du jour, la nuit dans l’insomnie, son habitude était de rêver négligemment à quelques questions désespérées, entre lesquelles il préférait la quadrature du cercle. Les lunules d’Hippocrate de Chio lui revenaient sans cesse, et il se disait : Il est aussi impossible qu’il y ait