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Rien de plus commun qu’un spectateur au théâtre, qu’un lecteur le livre à la main ; rien de plus rare qu’un citoyen honnête.


CHAPITRE XIV.


Page 54. — Il est un phénomène, constant dans la nature, auquel Helvétius n’a pas fait attention, c’est que les âmes fortes sont rares, que la nature ne fait presque que des êtres communs ; que c’est la raison pour laquelle les causes morales subjuguent si facilement l’organisation. Quelle que soit l’éducation publique ou particulière, quels que soient les gouvernements et la législation, sauf les temps de l’enthousiasme qui n’est et ne peut être qu’un ressort passager, la multitude ne vous montrera qu’un mélange de bonté et de méchanceté.

Helvétius avait bien plus de platonisme dans sa tête qu’il ne croyait.

La folie consiste à préférer l’intérêt d’un moment au bonheur de sa vie ; la passion ne voit pas plus loin que son nez. Par quels moyens peut-on diminuer le nombre des fous et des hommes passionnés ?

Il y avait tout autant de méchants et de fous et tout aussi fous et méchants dans Athènes ou dans Rome que dans Paris.

— Et de grands hommes ?

— Je pense qu’ils y étaient moins rares, et c’est à quoi se réduit, à mon avis, toute l’excellence d’une législation. Pour le peuple, c’est-à-dire la multitude, elle reste la même partout.

Les fous et les méchants sont à nos côtés, nous les voyons et le nombre nous en paraît infini. Socrate et Caton en comptaient autant de leur temps.

Toute une nation dont nous sommes séparés par un long intervalle de temps se réduit dans notre tête à un petit nombre de noms fameux qui nous ont été transmis par l’histoire. Peu s’en faut que nous ne croyions qu’on ne pouvait faire un pas dans les rues d’Athènes sans coudoyer un Aristide ; de même que nos neveux croiront qu’on ne pouvait faire un pas dans Paris sans coudoyer un Malesherbes ou un Turgot.

Page 55. — L’homme n’aime dans la vertu que la richesse et la considération qu’elle lui procure.

En général cela est vrai ; en détail rien n’est plus faux.