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décesseur, d’un autre, d’un troisième prédécesseur, qui tous se sont relayés dans le transport du fardeau.

Autant d’Ixions qui sont venus successivement s’attacher sur la même roue, autant de Prométhées et autant de vautours qui les déchiraient.

Il y a des expériences fortuites, il n’en faut pas douter ; mais à qui doivent-elles se présenter de préférence ? À l’homme du métier. Entre les mains de qui doivent-elles être fécondes ? Entre les mains de l’homme instruit.

C’est l’utilité plus ou moins générale, et non le degré de sagacité de l’inventeur qui donne de l’éclat à l’invention.

Helvétius le dit, et je le prouve. Qu’un géomètre marque trois points sur le papier : qu’il suppose une certaine loi d’attraction entre ces trois points et qu’il cherche leurs mouvements ; sa solution ne sera qu’un effort dont la sensation ne s’étendra guère au delà d’une des salles de l’Académie. Mais au moment où il a dit : L’un de ces points est la Terre, l’autre la Lune, et le troisième le Soleil… l’Univers retentit de son nom[1].

Page 3. — Il est des méthodes sûres pour former des savants : il n’en est point pour former des hommes de génie.

Si Helvétius y avait bien regardé, il aurait vu que celui qui a reçu l’aptitude à la science ne doit pas moins son érudition au hasard que celui qui a reçu de la nature l’aptitude ou l’organisation du génie ne lui doit ses découvertes.

Il aurait vu qu’il n’y a pas plus ni pas moins de méthode pour faire un érudit que pour faire un homme de génie, sans présupposer une organisation propre à chacun de ses états.

Il aurait vu que cette organisation présupposée, les honneurs, les récompenses multiplieront sans nombre ces sortes de joueurs et ces événements heureux que l’auteur appelle des hasards.

Il aurait vu que, sans cette organisation présupposée, tous les moyens imaginables auraient été stériles.

En quoi consiste donc l’importance de l’éducation ? Ce n’est point du tout de faire du premier enfant communément bien organisé ce qu’il plaît à ses parents d’en faire, mais de l’appliquer constamment à la chose à laquelle il est propre : à l’éru-

  1. Ce passage a été cité par Naigeon. L’idée se trouve déjà dans les Réflexions sur le Livre de l’Esprit.