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A-t-il voulu faire sensation et publier un ouvrage qui fût contredit et illustré par des critiques, même sensées ? A-t-il préféré d’avoir son coin séparé parmi les philosophes et par des opinions singulières, que d’être confondu dans la foule avec des vérités plus communes et des idées moins piquantes ?

Il est lui-même l’exemple d’un phénomène qu’il a remarqué ; c’est comment d’excellents esprits sont tombés et restés dans des erreurs palpables. Il leur suffisait d’en avoir été longtemps défenseurs. On ne convertit point celui qui a composé des in-folio sur une ineptie ; cet homme serait un héros dans son genre, s’il avait le courage de condamner au feu le travail de toute sa vie.

Un professeur en théologie trouva une réponse très-subtile à je ne sais quelle difficulté qui lui fut proposée contre la vérité de la religion ; et le voilà qui, d’incrédule qu’il était, devint croyant, précisément comme si cette objection même solidement résolue, il n’en restait plus à résoudre ; mais sa vanité était intéressée à la regarder comme la plus importante, et c’est ce qu’il fit. On retrouve à chaque pas la scène du maître de danse et du maître en fait d’armes, où nous allons rire tous les jours de nous-mêmes.

Il dit : La justesse de l’esprit dépend de la comparaison des idées et de l’attention avec laquelle on observe. Dites : Tout esprit n’est pas propre à comparer toutes idées ; tout esprit n’est pas capable d’attention.

Il dit : Poursuivez toujours le bonheur, ne l’atteignez jamais ; c’est sous peine de retomber dans l’ennui, en l’éprouvant fort inférieur à votre attente. Dites : Je sais bien que c’est à la peine à assaisonner le plaisir ; je sais que sa possession répond rarement à notre attente ; avec cela, monsieur Helvétius, je ne suivrai pas votre conseil : si la nature, le travail ou l’occasion m’offre le moyen d’être heureux, je le saisirai, je le saisirai vite, je ne craindrai pas de manquer de désirs. Je ne laisserai pas à mon imagination le temps de me surfaire une jouissance que je trouverais moins douce ; je tendrai mes bras au plaisir qui vient, mais je ne veux pas les tenir tendus trop longtemps, c’est une position qui fatigue. Je courrai après le plaisir qui s’éloigne, mais je ne m’excéderai pas, j’arriverais avec la lassitude et le dégoût. Illusions d’avare ou de coquette, sottes illusions, plate duperie ; aussi la coquette vieillit-elle avec douleur et regret, l’avare meurt-il désespéré.