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millions pour la changer. Soixante mille hommes se sont emparés de cette contrée ; qu’y deviennent-ils ? Ils se sont dispersés entre soixante millions, c’est mille hommes pour chaque million ; or, croit-on que mille hommes puissent changer les lois, les mœurs, les usages, les coutumes d’un million d’hommes ? Le vainqueur se conforme au vaincu, dont la masse le domine : c’est un ruisseau d’eau douce qui se perd dans une mer d’eau salée, une goutte d’eau qui tombe dans un tonneau d’esprit de vin. La durée du gouvernement chinois est une conséquence nécessaire non de sa bonté, mais bien de l’excessive population de la contrée ; et tant que cette cause subsistera, l’empire changera de maîtres sans changer de constitution : les Tartares se feront Chinois, mais les Chinois ne se feront pas Tartares. Je ne connais que la superstition d’un vainqueur intolérant qui pût ébranler l’administration et les lois nationales, parce que cette fureur religieuse est capable des choses les plus extraordinaires, comme de massacrer en une nuit plusieurs millions de dissidents. Une religion nouvelle ne s’introduit pas, chez aucun peuple, sans révolution dans la législation et les mœurs. Garantissez la Chine de cet événement, répondez-moi que les enfants de quelque empereur ne se partageront point ce vaste pays, et ne craignez rien ni pour les progrès de sa population ni pour la durée de ses mœurs.

Page 148. — Pourquoi les amateurs n’égalent-ils presque jamais leurs maîtres ? Pourquoi l’avantage de l’organisation ne répare-t-il pas le défaut d’attention ?

C’est qu’entre les élèves celui qui se fatigue le plus est souvent celui qui avance le moins, et que toute l’application du premier ne saurait suppléer au défaut des dispositions naturelles.

C’est qu’en tout il faut joindre l’étude et l’étude la plus longue et la plus suivie aux qualités naturelles les plus heureuses, ce que les amateurs ne font pas.


CHAPITRE XIV.


Page 148. — Les hommes, à la présence des mêmes objets, peuvent sans doute éprouver des sensations différentes ; mais