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Ibid. — Un tel homme parviendrait à des résultats incommunicables aux autres.

Pourquoi donc ? Si nous ne pouvions arriver à ses résultats par le discours, pourquoi n’y arriverions-nous pas par l’éducation et par l’expérience ? Mais il y a plus : ce qu’il apercevrait serait relatif à la longueur, largeur, profondeur, solidité et autres qualités physiques, sur lesquelles il pourrait s’expliquer très-clairement ; et telle serait la différence entre un sens perfectionné et un sens nouveau. « L’homme au sens perfectionné ne nous entretenant que de qualités connues, serait toujours intelligible ; l’autre nous entretenant au contraire de qualités inconnues, ne pourrait jamais être entendu. »

Nous sentons tous diversement, et nous parlons tous de même.

Si l’on saisit assez généralement les vérités contenues dans les ouvrages des Locke et des Newton, qu’est-ce que cela prouve ? Que tous assez généralement étaient capables de les découvrir ? Je le nie.

Page 139. — À proprement parler, les sensations d’un homme sont incommunicables à un autre, parce qu’elles sont diverses. Si les signes sont communs, c’est par disette.

Je suppose que Dieu donnât subitement à chaque individu une langue de tout point analogue à ses sensations, on ne s’entendrait plus. De l’idiome de Pierre à l’idiome de Jean, il n’y aurait pas un seul synonyme, si ce n’est peut-être les mots exister, être, et quelques autres qui désignent des qualités si simples, que la définition en est impossible ; et puis toutes les sciences mathématiques[1].

Page 140. — S’il est des siècles où semblables à ces oiseaux rares apportés par un coup de cent, les grands hommes apparaissent tout à coup dans un empire, qu’on ne regarde point cette apparition comme l’effet d’une cause physique[2].

J’y consens ; mais qu’on n’oublie pas que ce qui est à peu près vrai dans la comparaison d’une nation à une autre, est de toute fausseté dans la même société et dans la comparaison d’un

  1. Voyez la Lettre sur les sourds et muets, t. Ier, pour l’intelligence de cette page.
  2. « … mais morale. Dans tous les gouvernements où l’on récompense les talents, ces récompenses, comme les dents du serpent de Cadmus, produiront des hommes. » De l’Homme.