Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Qu’une nation diffère peu d’une autre nation.

— Qui vous le nie ?

— Que les Français, élevés comme les Romains, auraient aussi leur César, leur Scipion, leur Pompée, leur Cicéron.

— Pourquoi non ? Donc chez quelque nation que ce fût, la bonne éducation ferait un grand homme, un Annibal, un Alexandre, un Achille, d’un Thersite, d’un individu quelconque ! Persuadez cela à qui vous voudrez, mais non pas à moi.

Pourquoi ces noms illustres sont-ils si rares chez ces nations même où tous les citoyens recevaient l’éducation que vous préconisez.

Monsieur Helvétius, une petite question : Voilà cinq cents enfants qui viennent de naître ; on va vous les abandonner pour être élevés à votre discrétion ; dites-moi combien nous rendrez-vous d’hommes de génie ? Pourquoi pas cinq cents ? Pressez bien toutes vos réponses, et vous trouverez qu’en dernière analyse elles se résoudront dans la différence d’organisation, source primitive de la paresse, de la légèreté, de l’entêtement et des autres vices ou passions.

Page 12. — Les vrais précepteurs de notre enfance sont les objets qui nous environnent.

— Il est vrai : mais comment nous instruisent-ils ?

— Par la sensation.

— Or est-il possible que l’organisation étant différente, la sensation soit la même ?

Telle est sa diversité, que si chaque individu pouvait se créer une langue analogue à ce qu’il est, il y aurait autant de langues que d’individus ; un homme ne dirait ni bonjour, ni adieu comme un autre.

— Mais il n’y aurait donc plus ni vrai, ni bon, ni beau ?

— Je ne le pense pas ; la variété de ces idiomes ne suffirait pas pour altérer ces idées.


CHAPITRE III.


Page 13. — Plus les chutes sont douloureuses, plus elles sont instructives…

— J’en conviens. Mais y a-t-il deux enfants au monde pour qui la même chute fût également douloureuse, en général, pour