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eau, afin que l’homme n’aime son Dieu que pour lui-même[1]. Ce rôle ne va qu’à une femme. Mais cette imagination fougueuse, cet esprit qu’on croirait incoercible, un mot suffit pour l’abattre. Un médecin[2] dit aux femmes de Bordeaux, tourmentées de vapeurs effrayantes, qu’elles sont menacées du mal caduc ; et les voilà guéries. Un médecin[3] secoue un fer ardent aux yeux d’une troupe de jeunes filles épileptiques ; et les voilà guéries. Les magistrats de Milet[4] ont déclaré que la première femme qui se tuera sera exposée nue sur la place publique ; et voilà les Milésiennes réconciliées avec la vie. Les femmes sont sujettes à une férocité épidémique. L’exemple d’une seule en entraîne une multitude. Il n’y a que la première qui soit criminelle ; les autres sont malades. Ô femmes, vous êtes des enfants bien extraordinaires ! Avec un peu de douleur et de sensibilité (hé ! monsieur Thomas, que ne vous laissiez-vous aller à ces deux qualités, qui ne vous sont pas étrangères ?), quel attendrissement ne nous auriez-vous pas inspiré, en nous montrant les femmes assujetties comme nous aux infirmités de l’enfance, plus contraintes et plus négligées dans leur éducation, abandonnées aux mêmes caprices du sort, avec une âme plus mobile, des organes plus délicats, et rien de cette fermeté naturelle ou acquise qui nous y prépare ; réduites au silence dans l’âge adulte, sujettes à un malaise qui les dispose à devenir épouses et mères : alors tristes, inquiètes, mélancoliques, à côté de parents alarmés, non-seulement sur la santé et la vie de leur enfant, mais encore sur son caractère : car c’est à cet instant critique qu’une jeune fille devient ce qu’elle restera toute sa vie, pénétrante ou stupide, triste ou gaie, sérieuse ou légère, bonne ou méchante, l’espérance de sa mère trompée où réalisée. Pendant une longue suite d’années, chaque lune ramènera le même malaise. Le moment qui la délivrera du despotisme de ses parents est arrivé ; son

  1. Fait cité par Bayle dans les Pensées sur la comète de 1680. Il place la scène à Damas au temps de saint Louis.
  2. Le médecin Silva, consulté à Bordeaux par une foule de jolies femmes, qui se plaignaient de vapeurs et de maux de nerfs, leur répondit : « Ce ne sont pas des maux de nerfs, c’est le mal caduc. » Le lendemain, il n’y eut plus une seule femme dans Bordeaux qui eût mal aux nerfs. (Br.)
  3. Boerhaave guérit une épidémie d’hystérie en menaçant les malades du cautère.
  4. Variante : « Le dégoût de vivre saisit les femmes de Milet, les magistrats déclarent que, etc. »