Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/244

Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’AUMÔNIER.

Non.

OROU.

Fit-il toute l’espèce humaine à la fois ?

L’AUMÔNIER.

Non. Il créa seulement une femme et un homme.

OROU.

Eurent-ils des enfants ?

L’AUMÔNIER.

Assurément.

OROU.

Supposons que ces deux premiers parents n’aient eu que des filles, et que leur mère soit morte la première ; ou qu’ils n’aient eu que des garçons, et que la femme ait perdu son mari.

L’AUMÔNIER.

Tu m’embarrasses ; mais tu as beau dire, l’inceste est un crime abominable, et parlons d’autre chose.

OROU.

Cela te plaît à dire ; je me tais, moi, tant que tu ne m’auras pas dit ce que c’est que le crime abominable inceste.

L’AUMÔNIER.

Eh bien ! je t’accorde que peut-être l’inceste ne blesse en rien la nature ; mais ne suffit-il pas qu’il menace la constitution politique ? Que deviendraient la sûreté d’un chef et la tranquillité d’un État, si toute une nation composée de plusieurs millions d’hommes, se trouvait rassemblée autour d’une cinquantaine de pères de famille.

OROU.

Le pis-aller, c’est qu’où il n’y a qu’une grande société, il y en aurait cinquante petites, plus de bonheur et un crime de moins.

L’AUMÔNIER.

Je crois cependant que, même ici, un fils couche rarement avec sa mère.

OROU.

À moins qu’il n’ait beaucoup de respect pour elle, et une tendresse qui lui fasse oublier la disparité d’âge, et préférer une femme de quarante ans à une fille de dix-neuf.

L’AUMÔNIER.

Et le commerce des pères avec leurs filles ?