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leux ; si l’on ne multiplierait pas en cent façons diverses les races de mulets, et si celles que nous connaissons sont vraiment stériles. Mais un fait singulier, qu’une infinité de gens instruits vous attesteront comme vrai, et qui est faux, c’est qu’ils ont vu dans la basse-cour de l’archiduc un infâme lapin qui servait de coq à une vingtaine de poules infâmes qui s’en accommodaient ; ils ajouteront qu’on leur a montré des poulets couverts de poils et provenus de cette bestialité. Croyez qu’on s’est moqué d’eux.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Mais qu’entendez-vous par des tentatives suivies ?

BORDEU.

J’entends que la circulation des êtres est graduelle, que les assimilations des êtres veulent être préparées, et que, pour réussir dans ces sortes d’expériences, il faudrait s’y prendre de loin et travailler d’abord à rapprocher les animaux par un régime analogue.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

On réduira difficilement un homme à brouter.

BORDEU.

Mais non à prendre souvent du lait de chèvre, et l’on amènera facilement la chèvre à se nourrir de pain. J’ai choisi la chèvre par des considérations qui me sont particulières.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Et ces considérations ?

BORDEU.

Vous êtes bien hardie ! C’est que… c’est que nous en tirerions une race vigoureuse, intelligente, infatigable et véloce dont nous ferions d’excellents domestiques.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Fort bien, docteur. Il me semble déjà que je vois derrière la voiture de vos duchesses cinq à six grands insolents chèvre-pieds, et cela me réjouit.

BORDEU.

C’est que nous ne dégraderions plus nos frères en les assujettissant à des fonctions indignes d’eux et de nous.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Encore mieux.