Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus rapide et plus commode. Ce sont les signes du langage qui ont donné naissance aux sciences abstraites. Une qualité commune à plusieurs actions a engendré les mots vice et vertu ; une qualité commune à plusieurs êtres a engendré les mots laideur et beauté. On a dit un homme, un cheval, deux animaux ; ensuite on a dit un, deux, trois, et toute la science des nombres a pris naissance. On n’a nulle idée d’un mot abstrait. On a remarqué dans tous les corps trois dimensions, la longueur, la largeur, la profondeur ; on s’est occupé de chacune de ces dimensions, et de là toutes les sciences mathématiques. Toute abstraction n’est qu’un signe vide d’idée. On a exclu l’idée en séparant le signe de l’objet physique, et ce n’est qu’en rattachant le signe à l’objet physique que la science redevient une science d’idées ; de là le besoin, si fréquent dans la conversation, dans les ouvrages, d’en venir à des exemples. Lorsque, après une longue combinaison de signes, vous demandez un exemple, vous n’exigez autre chose de celui qui parle, sinon de donner du corps, de la forme, de la réalité, de l’idée au bruit successif de ses accents, en y appliquant des sensations éprouvées.

D’ALEMBERT.

Cela est-il bien clair pour vous, mademoiselle ?

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Pas infiniment, mais le docteur va s’expliquer.

BORDEU.

Cela vous plaît à dire. Ce n’est pas qu’il n’y ait peut-être quelque chose à rectifier et beaucoup à ajouter à ce que j’ai dit ; mais il est onze heures et demie, et j’ai à midi une consultation au Marais.

D’ALEMBERT.

Le langage plus rapide et plus commode ! Docteur, est-ce qu’on s’entend ? est-ce qu’on est entendu ?

BORDEU.

Presque toutes les conversations sont des comptes faits… Je ne sais plus où est ma canne… On n’y a aucune idée présente à l’esprit… Et mon chapeau… Et par la raison seule qu’aucun homme ne ressemble parfaitement à un autre, nous n’entendons jamais précisément, nous ne sommes jamais précisément enten-