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tion continue, et l’animal est entraîné dès sa formation première à s’y rapporter soi, à s’y fixer tout entier, à exister.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Et si mon doigt pouvait avoir de la mémoire ?…

BORDEU.

Votre doigt penserait.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Et qu’est-ce donc que la mémoire ?

BORDEU.

La propriété du centre, le sens spécifique de l’origine du réseau, comme la vue est la propriété de l’œil ; et il n’est pas plus étonnant que la mémoire ne soit pas dans l’œil, qu’il ne l’est que la vue ne soit pas dans l’oreille.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Docteur, vous éludez plutôt mes questions que vous n’y satisfaites.

BORDEU.

Je n’élude rien, je vous dis ce que je sais, et j’en saurais davantage, si l’organisation de l’origine du réseau m’était aussi connue que celle de ses brins, si j’avais eu la même facilité de l’observer. Mais si je suis faible sur les phénomènes particuliers, en revanche, je triomphe sur les phénomènes généraux.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Et ces phénomènes généraux sont ?

BORDEU.

La raison, le jugement, l’imagination, la folie, l’imbécillité, la férocité, l’instinct.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

J’entends. Toutes ces qualités ne sont que des conséquences du rapport originel ou contracté par l’habitude de l’origine du faisceau à ses ramifications.

BORDEU.

À merveille. Le principe ou le tronc est-il trop vigoureux relativement aux branches ? De là les poètes, les artistes, les gens à imagination, les hommes pusillanimes, les enthousiastes, les fous. Trop faible ? De là ce que nous appelons les brutes, les bêtes féroces. Le système entier lâche, mou, sans énergie ? De là les imbéciles. Le système entier énergique, bien d’accord,