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MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Je ne cesse de le lui dire, mais il n’en tient compte.

BORDEU.

Il n’en est plus le maître, c’est sa vie ; il faut qu’il en périsse.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Cette sentence me fait peur.

BORDEU.

Que prouvent cet épuisement, cette lassitude ? Que les brins du faisceau ne sont pas restés oisifs, et qu’il y avait dans tout le système une tension violente vers un centre commun.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Si cette tension ou tendance violente dure, si elle devient habituelle ?

BORDEU.

C’est un tic de l’origine du faisceau ; l’animal est fou, et fou presque sans ressource.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Et pourquoi ?

BORDEU.

C’est qu’il n’en est pas du tic de l’origine comme du tic d’un des brins. La tête peut bien commander aux pieds, mais non pas le pied à la tête ; l’origine à un des brins, non pas le brin à l’origine.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Et la différence, s’il vous plaît ? En effet, pourquoi ne pensé-je pas partout ? C’est une question qui aurait dû me venir plus tôt.

BORDEU.

C’est que la conscience n’est qu’en un endroit.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Voilà qui est bientôt dit.

BORDEU.

C’est qu’elle ne peut être que dans un endroit, au centre commun de toutes les sensations, là où est la mémoire, là où se font les comparaisons. Chaque brin n’est susceptible que d’un certain nombre déterminé d’impressions, de sensations successives, isolées, sans mémoire. L’origine est susceptible de toutes, elle en est le registre, elle en garde la mémoire ou une sensa-