Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/160

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

BORDEU.

Si Jean-Baptiste Macé a été marié et qu’il ait eu des enfants…

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Eh bien, docteur, ces enfants…

BORDEU.

Suivront la conformation générale ; mais quelqu’un des enfants de leurs enfants, au bout d’une centaine d’années, car ces irrégularités ont des sauts, reviendra à la conformation bizarre de son aïeul[1].

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Et d’où viennent ces sauts ?

BORDEU.

Qui le sait ? Pour faire un enfant on est deux, comme vous savez. Peut-être qu’un des agents répare le vice de l’autre, et que le réseau défectueux ne renaît que dans le moment où le descendant de la race monstrueuse prédomine et donne la loi à la formation du réseau. Le faisceau de fils constitue la différence originelle et première de toutes les espèces d’animaux. Les variétés du faisceau d’une espèce font toutes les variétés monstrueuses de cette espèce.

(Après un long silence, mademoiselle de l’Espinasse sortit de sa rêverie et tira le docteur de la sienne par la question suivante : )

Il me vient une idée bien folle.

BORDEU.

Quelle ?

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

L’homme n’est peut-être que le monstre de la femme, ou la femme le monstre de l’homme.

BORDEU.

Cette idée vous serait venue bien plus vite encore, si vous eussiez su que la femme a toutes les parties de l’homme, et que la seule différence qu’il y ait est celle d’une bourse pendante en dehors, ou d’une bourse retournée en dedans ; qu’un fœtus femelle ressemble, à s’y tromper, à un fœtus mâle ; que la partie qui occasionne l’erreur s’affaisse dans le fœtus femelle à mesure

  1. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui les phénomènes d’atavisme.