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MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Pourrait avoir été, ou venir et passer ?

BORDEU.

Sans doute ; mais puisqu’il serait matière dans l’univers, portion de l’univers, sujet à vicissitudes, il vieillirait, il mourrait.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Mais voici bien une autre extravagance qui me vient.

BORDEU.

Je vous dispense de la dire, je la sais.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Voyons, quelle est-elle ?

BORDEU.

Vous voyez l’intelligence unie à des portions de matière très-énergiques, et la possibilité de toutes sortes de prodiges imaginables. D’autres l’ont pensé comme vous.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Vous m’avez devinée, et je ne vous en estime pas davantage. Il faut que vous ayez un merveilleux penchant à la folie.

BORDEU.

D’accord. Mais que cette idée a-t-elle d’effrayant ? Ce serait une épidémie de bons et de mauvais génies ; les lois les plus constantes de la nature seraient interrompues par des agents naturels ; notre physique générale en deviendrait plus difficile, mais il n’y aurait point de miracles.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

En vérité, il faut être bien circonspect sur ce qu’on assure et sur ce qu’on nie.

BORDEU.

Allez, celui qui vous raconterait un phénomène de ce genre aurait l’air d’un grand menteur. Mais laissons là tous ces êtres imaginaires, sans en excepter votre araignée à réseaux infinis : revenons au vôtre et à sa formation.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

J’y consens.

D’ALEMBERT.

Mademoiselle, vous êtes avec quelqu’un : qui est-ce qui cause là avec vous ?