Si l’on frappe du coup le plus léger à l’extrémité d’une longue poutre, j’entends ce coup, si j’ai mon oreille placée à l’autre extrémité. Cette poutre toucherait d’un bout sur la terre et de l’autre bout dans Sirius, que le même effet serait produit. Pourquoi tout étant lié, contigu, c’est-à-dire la poutre existante et réelle, n’entends-je pas ce qui se passe dans l’espace immense qui m’environne, surtout si j’y prête l’oreille ?
Et qui est-ce qui vous a dit que vous ne l’entendiez pas plus ou moins ? Mais il y a si loin, l’impression est si faible, si croisée sur la route ; vous êtes entourée et assourdie de bruits si violents et si divers ; c’est qu’entre Saturne et vous il n’y a que des corps contigus, au lieu qu’il y faudrait de la continuité.
C’est bien dommage.
C’est vrai, car vous seriez Dieu. Par votre identité avec tous les êtres de la nature, vous sauriez tout ce qui se fait ; par votre mémoire, vous sauriez tout ce qui s’y est fait.
Et ce qui s’y fera ?
Vous formeriez sur l’avenir des conjectures vraisemblables, mais sujettes à erreur. C’est précisément comme si vous cherchiez à deviner ce qui va se passer au dedans de vous, à l’extrémité de votre pied ou de votre main.
Et qui est-ce qui vous a dit que ce monde n’avait pas aussi ses méninges, ou qu’il ne réside pas dans quelque recoin de l’espace une grosse ou petite araignée dont les fils s’étendent à tout ?
Personne, moins encore si elle n’a pas été ou si elle ne sera pas.
Comment cette espèce de Dieu-là…
La seule qui se conçoive…