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en ce sens, ni moi, ni quoi que ce soit… Naître, vivre et passer, c’est changer de formes… Et qu’importe une forme ou une autre ? Chaque forme a le bonheur et le malheur qui lui est propre. Depuis l’éléphant jusqu’au puceron… depuis le puceron jusqu’à la molécule sensible et vivante, l’origine de tout, pas un point dans la nature entière qui ne souffre ou qui ne jouisse.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Il ne dit plus rien.

BORDEU.

Non ; il a fait une assez belle excursion. Voilà de la philosophie bien haute ; systématique dans ce moment, je crois que plus les connaissances de l’homme feront des progrès, plus elle se vérifiera.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Et nous, où en étions-nous ?

BORDEU.

Ma foi, je ne m’en souviens plus ; il m’a rappelé tant de phénomènes, tandis que je l’écoutais !

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Attendez, attendez,… j’en étais à mon araignée.

BORDEU.

Oui, oui.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Docteur, approchez-vous. Imaginez une araignée au centre de sa toile. Ébranlez un fil, et vous verrez l’animal alerte accourir. Eh bien ! si les fils que l’insecte tire de ses intestins, et y rappelle quand il lui plaît, faisaient partie sensible de lui-même ?…

BORDEU.

Je vous entends. Vous imaginez en vous, quelque part, dans un recoin de votre tête, celui, par exemple, qu’on appelle les méninges, un ou plusieurs points où se rapportent toutes les sensations excitées sur la longueur des fils.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

C’est cela.

BORDEU.

Votre idée est on ne saurait plus juste ; mais ne croyez-vous pas que c’est à peu près la même qu’une certaine grappe d’abeilles ?