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plus ou moins animal. Il n’y a rien de précis en nature… Le ruban[1] du père Castel… Oui, père Castel, c’est votre ruban et ce n’est que cela. Toute chose est plus ou moins une chose quelconque, plus ou moins terre, plus ou moins eau, plus ou moins air, plus ou moins feu ; plus ou moins d’un règne ou d’un autre… donc rien n’est de l’essence d’un être particulier… Non, sans doute, puisqu’il n’y a aucune qualité dont aucun être ne soit participant… et que c’est le rapport plus ou moins grand de cette qualité qui nous la fait attribuer à un être exclusivement à un autre… Et vous parlez d’individus, pauvres philosophes ! laissez là vos individus : répondez-moi. Y a-t-il un atome en nature rigoureusement semblable à un autre atome ?… Non… Ne convenez-vous pas que tout tient en nature et qu’il est impossible qu’il y ait un vide dans la chaîne ? Que voulez-vous donc dire avec vos individus ? Il n’y en a point, non, il n’y en a point… Il n’y a qu’un seul grand individu, c’est le tout. Dans ce tout, comme dans une machine, dans un animal quelconque, il y a une partie que vous appellerez telle ou telle : mais quand vous donnerez le nom d’individu à cette partie du tout, c’est par un concept aussi faux que si, dans un oiseau, vous donniez le nom d’individu à l’aile, à une plume de l’aile… Et vous parlez d’essences, pauvres philosophes ! laissez là vos essences. Voyez la masse générale, ou si, pour l’embrasser, vous avez l’imagination trop étroite, voyez votre première origine et votre fin dernière… Ô Architas ! vous qui avez mesuré le globe, qu’êtes-vous ? un peu de cendre… Qu’est-ce qu’un être ?… La somme d’un certain nombre de tendances… Est-ce que je puis être autre chose qu’une tendance ?… non, je vais à un terme… Et les espèces ?… Les espèces ne sont que des tendances à un terme commun qui leur est propre… Et la vie ?… La vie, une suite d’actions et de réactions… Vivant, j’agis et je réagis en masse… mort, j’agis et je réagis en molécules… Je ne meurs donc point ?… Non, sans doute, je ne meurs point

  1. Nous avons déjà rencontré le père Castel dans la Lettre sur les sourds et muets où son instrument, le clavecin oculaire, est représenté comme formé d’une succession d’éventails ; mais comme cet instrument ne fut jamais réalisé, Diderot lui donne ici la forme qu’il croit lui convenir le mieux, et qu’il indique dans l’article Clavecin, de l’Encyclopédie. Les couleurs devaient venir se peindre sur un ruban. Leur succession par quart de ton forme cet enchaînement où « il n’y a rien de précis » dont parle D’Alembert.