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BORDEU.

Cela produit ordinairement cet effet.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Point du tout ; sur les deux heures du matin, il en est revenu à sa goutte d’eau, qu’il appelait un mi…cro…

BORDEU.

Un microcosme.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

C’est son mot. Il admirait la sagacité des anciens philosophes. Il disait ou faisait dire à son philosophe, je ne sais lequel des deux : « Si lorsque Épicure assurait que la terre contenait les germes de tout, et que l’espèce animale était le produit de la fermentation, il avait proposé de montrer une image en petit de ce qui s’était fait en grand à l’origine des temps, que lui aurait-on répondu ?… Et vous l’avez sous vos yeux cette image, et elle ne vous apprend rien… Qui sait si la fermentation et ses produits sont épuisés ? Qui sait à quel instant de la succession de ces générations animales nous en sommes ? Qui sait si ce bipède déformé, qui n’a que quatre pieds de hauteur, qu’on appelle encore dans le voisinage du pôle un homme, et qui ne tarderait pas à perdre ce nom en se déformant un peu davantage, n’est pas l’image d’une espèce qui passe ? Qui sait s’il n’en est pas ainsi de toutes les espèces d’animaux ? Qui sait si tout ne tend pas à se réduire à un grand sédiment inerte et immobile ? Qui sait quelle sera la durée de cette inertie ? Qui sait quelle race nouvelle peut résulter derechef d’un amas aussi grand de points sensibles et vivants ? Pourquoi pas un seul animal ? Qu’était l’éléphant dans son origine ? Peut-être l’animal énorme tel qu’il nous paraît, peut-être un atome, car tous les deux sont également possibles ; ils ne supposent que le mouvement et les propriétés diverses de la matière… L’éléphant, cette masse énorme, organisée, le produit subit de la fermentation ! Pourquoi non ? Le rapport de ce grand quadrupède à sa matrice première est moindre que celui du vermisseau à la molécule de farine qui l’a produit ; mais le vermisseau n’est qu’un vermisseau… C’est-à-dire que la petitesse qui vous dérobe son organisation lui ôte son merveilleux… Le prodige, c’est la vie, c’est la sensibilité ; et ce prodige n’en est plus un…