Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Sans difficulté ; mais je veux mourir, si vous y comprenez quelque chose.

BORDEU.

Peut-être.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Docteur, êtes-vous prêt ?

BORDEU.

Oui.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Écoutez. « Un point vivant… Non, je me trompe. Rien d’abord, puis un point vivant… À ce point vivant il s’en applique un autre, encore un autre ; et par ces applications successives il résulte un être un, car je suis bien un, je n’en saurais douter… (En disant cela, il se tâtait partout.) Mais comment cette unité s’est-elle faite ? (Eh ! mon ami, lui ai-je dit, qu’est-ce que cela vous fait ? dormez… Il s’est tu. Après un moment de silence, il a repris comme s’il s’adressait à quelqu’un.) Tenez, philosophe, je vois bien un agrégat, un tissu de petits êtres sensibles, mais un animal !… un tout ! un système un, lui, ayant la conscience de son unité ! Je ne le vois pas, non, je ne le vois pas… » Docteur, y entendez-vous quelque chose ?

BORDEU.

À merveille.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Vous êtes bien heureux… « Ma difficulté vient peut-être d’une fausse idée. »

BORDEU.

Est-ce vous qui parlez ?

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Non, c’est le rêveur.

Je continue… Il a ajouté, en s’apostrophant lui-même : « Mon ami D’Alembert, prenez-y garde, vous ne supposez que de la contiguïté où il y a continuité… Oui, il est assez malin pour me dire cela… Et la formation de cette continuité ? Elle ne l’embarrassera guère… Comme une goutte de mercure se fond dans une autre goutte de mercure, une molécule sensible et vivante se fond dans une molécule sensible et vivante…