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MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Tant mieux, car il déteste les remèdes.

BORDEU.

Et moi aussi. Qu’a-t-il mangé à souper ?

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Il n’a rien voulu prendre. Je ne sais où il avait passé la soirée, mais il est revenu soucieux.

BORDEU.

C’est un petit mouvement fébrile qui n’aura point de suite.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

En rentrant, il a pris sa robe de chambre, son bonnet de nuit, et s’est jeté dans son fauteuil, où il s’est assoupi.

BORDEU.

Le sommeil est bon partout ; mais il eût été mieux dans son lit.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Il s’est fâché contre Antoine, qui le lui disait ; il a fallu le tirailler une demi-heure pour le faire coucher.

BORDEU.

C’est ce qui m’arrive tous les jours, quoique je me porte bien.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Quand il a été couché, au lieu de reposer comme à son ordinaire, car il dort comme un enfant, il s’est mis à se tourner, à se retourner, à tirer ses bras, à écarter ses couvertures, et à parler haut.

BORDEU.

Et qu’est-ce qu’il disait ? de la géométrie ?

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Non ; cela avait tout l’air du délire. C’était, en commençant, un galimatias de cordes vibrantes et de fibres sensibles. Cela m’a paru si fou que, résolue de ne le pas quitter de la nuit et ne sachant que faire, j’ai approché une petite table du pied de son lit, et je me suis mise à écrire tout ce que j’ai pu attraper de sa rêvasserie.

BORDEU.

Bon tour de tête qui est bien de vous. Et peut-on voir cela ?