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tration de l’univers, elles sont violemment tentées de juger désavantageusement de la Providence.

Qu’est-ce que l’opinion d’un homme ? celle qui lui est habituelle. C’est l’hypothèse à laquelle il revient toujours, et non celle dont il n’est jamais sorti, que nous appellerons son sentiment. Qui pourra donc assurer qu’un homme, qui n’est pas un stupide, est un parfait athée ? car, si toutes ses pensées ne luttent pas en tout temps, en toute occasion, contre toute idée, toute imagination, tout soupçon d’une intelligence supérieure, il n’est pas un parfait athée. De même, si l’on n’est pas constamment éloigné de toute idée de hasard ou de mauvais génie, on n’est pas parfait théiste. C’est le sentiment dominant qui détermine l’état. Quiconque voit moins d’ordre dans l’univers que de hasard et de confusion, est plus athée que théiste. Quiconque aperçoit dans le monde des traces plus distinctes d’un mauvais génie que d’un bon, est moins théiste que démoniste. Mais tous ces systématiques prendront leur dénomination, selon le côté où l’esprit se sera fixé le plus souvent dans ces oscillations.

Du mélange de ces opinions il en résulte un grand nombre d’autres[1], toutes différentes entre elles.

L’athéisme seul exclut toute religion. Le parfait démoniste peut avoir un culte. Nous connaissons même des nations entières qui adorent un diable à qui la frayeur seule porte leurs prières, leurs offrandes et leurs sacrifices ; et nous n’ignorons pas que, dans quelques religions, on ne regarde Dieu que comme un être

  1. Le théisme avec le démonisme. Le démonisme avec le polythéisme. Le déisme avec l’athéisme. Le démonisme avec l’athéisme. Le polythéisme avec l’athéisme. Le théisme avec le polythéisme. Le théisme ou le polythéisme avec le démonisme, ou avec le démonisme et l’athéisme. Ce qui arrive lorsqu’on admet :
    Un dieu dont la nature est bonne et mauvaise ; ou deux principes, l’un pour le bien, et l’autre pour le mal ;
    Ou plusieurs intelligences suprêmes et mauvaises, ce que l’on pourrait proprement appeler polydémonisme ;
    Ou lorsque Dieu et le hasard partagent l’empire de l’univers ;
    Ou lorsque l’univers est gouverné par le hasard et par un mauvais génie ;
    Ou lorsqu’on admet plusieurs intelligences mauvaises, sans exclure le hasard ;
    Ou lorsqu’on suppose le monde fait et gouverné par plusieurs intelligences, toutes bienfaisantes ;
    Ou lorsqu’on admet plusieurs intelligences suprêmes, tant bonnes que mauvaises ;
    Ou lorsqu’on suppose que l’administration des choses est partagée entre plusieurs intelligences tant bonnes que mauvaises, et le hasard. (Diderot.)